Le même silence dans les médias officiels. Les mêmes refus polis adressés aux journalistes étrangers. Pour Hu Jia comme pour Ai Weiwei, les familles ne se sont pas bousculées devant les caméras après leur libération. Même quand il s’agit de manifester leur soulagement, les proches des opposants sont tenus de cacher leur joie. Un pacte du silence est signé lors de la sortie de détention.
Totalement censurés dans les médias officiels, la plupart des dissidents sont inconnus des Chinois et les autorités ne veulent surtout pas que cela change. Le microblog d’Ai Weiwei, qui pouvait attirer plusieurs dizaines de millions d’internautes, a été fermé il y a trois ans. L'artiste continue de s’exprimer sur son compte Twitter (censuré en Chine), mais son public est devenu plus restreint (environ 80 000 abonnés) et pour l'essentiel composé d'étrangers ou de Chinois qui souvent ont passé quelques temps en dehors du pays.
Prisons noires
Une fois dehors et après avoir disparu de la circulation pendant près de trois mois, comme c’est le cas pour Ai Weiwei, les opposants sont donc libres de se taire. « En ce moment les prisonniers politiques sont soumis à des formes de contrôles extrêmes comme la résidence surveillée de façon indéterminée, explique Nicolas Becquelin, chercheur chargé de l’Asie pour l’organisation Human Rights Watch à Hong-Kong. En réalité, cette technique d’isolement a débuté un peu avant les Jeux Olympiques, c’était d’ailleurs le cas pour Hu Jia avant qu’il ne soit condamné. Cela se passe en dehors de tout cadre juridique et cela dépend de ce que les autorités chinoises appellent "l’attitude de la personne qui est relâchée". En gros, elle ne doit pas communiquer vers l’extérieur, que ce soit sur internet ou en donnant des interviews aux médias ».
Selon la plupart des associations de droits de l'homme, les « disparitions » se sont accélérées suite aux révoltes arabes qui ont, semble-t-il, fait peur aux autorités chinoises. Une vague d’arrestations-disparitions qui a traversé la société civile sans que les proches des « suspects » ne soient toujours informés.
« Pour les autorités, l’objectif n’est pas de mettre tout le monde en prison, mais de bien de faire taire la contestation, explique un avocat qui souhaite rester anonyme. Normalement, seules deux possibilités sont offertes dans la loi chinoise. Soit le suspect est interrogé par la police et se retrouve en garde à vue, soit il est surveillé dans le cadre de sa propre résidence. Or il arrive souvent que les personnes ne soient ni chez elles ni en détention. C’est ce qu’on appelle les prisons noires ».
L’orgueil des geôliers
Le regard qui surveille discrètement l’horizon. Un coup d’œil à droite, puis à gauche, l’homme nous a donné rendez-vous dans un parc de la capitale. Une rencontre volontairement discrète.
Comme de nombreux intellectuels, il s’est retrouvé dernièrement avec les menottes aux poignées : « Ils m’ont arrêté pour des messages que j’ai écrits sur Twitter, confie cet avocat. La police les a imprimés et m’a dit que c’était illégal. Avant de me laisser sortir, les policiers m’ont fait signer un papier. J’ai dû m’engager à ne plus écrire contre le gouvernement. Un de mes amis avocats a même dû promettre de ne plus parler aux médias pendant un an ».
Cette liberté très surveillée est propre à tous ceux qui ont été relâchés suite aux appels sur internet à des rassemblements chinois du jasmin début février. « Le gouvernement chinois veut sauver la face, voilà pourquoi on se retrouve dans cette situation de non- droit. Le prisonnier a terminé sa peine. Le gouvernement ne peut pas le garder plus longtemps alors il le fait disparaître indique encore notre avocat anonyme ».
La détention en dehors des règles et la liberté sous caution permet de préserver l’orgueil des geôliers. C’est aussi une double peine pour ceux qui en sont victimes. Hu Jia est ainsi privé de ses droits politiques pendant un an. Il est aussi astreint au silence pendant cette période. « Ils m'ont demandé de vivre une vie ordinaire et ne pas affronter le régime, car ce régime est très cruel et viole de façon arbitraire la dignité de ses citoyens », a déclaré non sans humour à une chaîne câblée de Hong-Kong celui qui avant son emprisonnement militait pour le droit des malades atteints du sida ou pour les libertés individuelles en Chine. « Ce n’est pas la peine de venir nous voir, a ajouté sa femme aux journalistes, vous ne pourrez pas rentrer ».
« Fils de prince »
La clémence des autorités dépend ainsi de chaque cas. La célébrité d’Ai Weiwei à l’étranger, notamment à Londres et Berlin, aurait joué en sa faveur. Sa libération est intervenue à la veille de la visite de Wen Jiabao en Europe, peut-être pour enrayer toute velléité de manifestation au cours du voyage du numéro deux du gouvernement chinois. A ces pressions internationales, s’ajoutent peut-être des raisons internes au régime. Cette libération et surtout l'arrestation qui a précédé est-elle révélatrice des lignes d’affrontement au sein de l’appareil communiste entre conservateurs et réformateurs ?
Il y a enfin le fait qu’Ai Weiwei dispose encore de quelques amis en Chine. Il a du « guanxi » comme on dit ici, un réseau de contacts bien placés. « C’est une forte personnalité, c’est quelqu’un qui a aussi des relations absolument partout, estime le sinologue Jean-Luc Domenach. Parce que c’est un fils de prince et parce que son père était Ai Qing, le très grand écrivain communisant [interné avec sa famille dans un camp de travail au Xinjiang afin d'être ‘rééduqué', ndlr]. C’est donc quelqu’un qu’on ne fait pas tomber comme ça, la puissance sociale du personnage expliquant très largement sa libération. Par ailleurs ce n’était pas une bonne publicité pour la Chine d’encabaner un artiste à l’heure où elle cherche à donner une image d’elle-même un peu plus soft ».
Ai Weiwei serait donc paradoxalement et de par sa notoriété à l’étranger, l’une des cartes maitresse^s du soft power chinois. C’est tout le paradoxe de la Chine d’aujourd’hui. Le pays se retrouve ainsi partagé entre sa volonté d’assumer son nouveau statut de grande puissance et notamment de puissance culturelle avec l’ouverture d’instituts Confucius un peu partout dans le monde pour contrer l’hégémonie de la culture américaine et occidentale. Et de l’autre un gouvernement bien décidé à restreindre les libertés individuelles au moins jusqu’au XVIIIe congrès l’année prochaine. Les voix contestataires constituent ainsi pour Pékin une épine dans le pied dont il est devenu très difficile de se débarrasser.