Le récit de notre correspondant à Tokyo
Tout d’abord, l’immeuble où nous nous trouvions nous a donné l’impression de s’arracher du sol, au moment de la secousse qui a frappé le nord du Japon, à 380 kilomètres au nord de la capitale. Ensuite, il y a eu un déplacement latéral d’au moins un mètre. Nous avons cru que l’immeuble qui abrite le Presse-Club, au vingtième étage, allait s’appuyer, s’affaisser, s’écraser contre le gratte-ciel d’à côté à une vingtaine de mètres de distance. Nous n’avons pas pu nous tenir debout. J’étais dans la petite salle d’enregistrement pour enregistrer autre chose, je suis tombé, je n’ai pas pu me relever. Je me tenais à ce que je pouvais.
Et dans le Presse-Club, dans la salle qui abrite la bibliothèque, il y avait des dizaines de personnes, des personnes âgées, et même celles qui ont plus de soixante-dix ans n’ont jamais subi une telle secousse. Nous avons eu peur pour elles, parce qu’une crise cardiaque est toujours possible. Heureusement cela n’a pas été le cas. C’est ce qui est remarquable chez les Japonais. Il y a une capacité à absorber, au niveau de leurs constructions antisismiques et au niveau mental, psychologique, pour une telle secousse.
Les Japonais savent que c’est la terre la plus inhospitalière du globe, qui enregistre chaque année vingt pour cent de tous les tremblements de terre les plus puissants à travers le monde et ils savent qu’ils vivent dans un monde de «l’impermanence» et qu’un jour ou l’autre, comme en 1923, leur capitale sera détruite.
Il y a un mélange de fatalité, mais aussi de calme ! De refus de céder à la panique et de suivre les conseils qui tombent par le biais d’un haut-parleur du plafond du club et qui nous disent : « surtout ne quittez pas l’endroit où vous êtes ! ». Alors que ça tangue ! Ca tangue ! Il y a les tableaux accrochés au mur qui commencent un mouvement circulaire, plus ou moins, en faisant un grand bruit et tombent du mur.
« Le pire est toujours possible »
Vous vous demandez comment est-ce possible de garder le visage d’un joueur de poker et de ne pas prétendre qu’on est pris d’une frayeur énorme alors que l’onde de choc traverse tout votre corps ! Déjà après la première secousse, vous avez les mains qui tremblent pendant une vingtaine de minutes. Vous ne pouvez pas prendre un stylo.
Pour l’heure, je viens de sortir du club pour aller dans un studio de la chaîne de télévision japonaise, et j’ai dû courir, parce qu’il n’y a pas de taxi. Il fait sombre, il est plus de vingt heures. Je viens de voir ce que je n’ai jamais vu depuis que je suis au Japon, des dizaines de milliers de personnes qui marchent à travers les rues de Tokyo, sans savoir où aller. Il n’y a plus de taxi, ils sont tous pris. Les gens se demandent où trouver une chambre d’hôtel... Elles sont sans doute toutes occupées. Et ils habitent peut-être d’habitude à une heure et demie ou une heure quarante-cinq de train et de métro, de la capitale japonaise et les transports en commun n’ont toujours pas repris leur service.
En ce qui concerne la communication il est possible d’échanger par internet car il y a de l’électricité. Les lignes téléphoniques marchent, mais elles sont saturées par des millions de personnes qui essaient de rassurer leurs proches d’un bout à l’autre de l’archipel.
Les chaînes de télévision, avec leurs présentateurs vêtus d’un casque de protection, informent constamment la population sur ce qui se passe au nord et à l’épicentre. Pour dire aussi que les centrales nucléaires se sont arrêtées automatiquement et aussi qu’il y a certes, d’énormes dégâts. Mais l’Etat japonais tend à minimiser, pendant les premières heures ou les deux premiers jours, l’étendue des dégâts, pour ne pas paniquer encore plus la population, à tort ou à raison.
Voilà notre état d'esprit et nous nous disons que nous avons peut-être échappé au pire, mais que le pire est toujours possible.
Pour en savoir plus :
Consulter les sites
- du Pacific Tsunami Warning Center
- de l'Institut de physique du globe
- de l'USGS, en anglais (Etats-Unis) / derniers tremblements de terre (7 jours)
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