L’affaire Davis empoisonne les relations entre Islamabad et Washington

Au Pakistan, l’affaire Davis est devenue une véritable affaire d’Etat, responsable de tensions sans précédent entre le Pakistan et les Etats-Unis, des alliés dans la guerre contre le terrorisme et qui ont pourtant un besoin crucial l’un de l’autre.

envoyée spéciale à Lahore,

A l’origine des nouvelles tensions entre les deux partenaires dans la guerre contre le terrorisme : l’incarcération le 27 janvier dernier au Pakistan de Raymond Davis. Il est désigné par Washington comme un membre de «l’équipe administrative et technique» de l’ambassade américaine, qui a tué deux motocyclistes pakistanais dans les rues de Lahore. Les Etats-Unis assurent que leur ressortissant est couvert par l‘immunité diplomatique et que sa détention est illégale.

Contrairement à la version de légitime défense avancée par Raymond Davis, 36 ans –ancien membre des forces spéciales-, la police pakistanaise assure qu’il a commis «un double meurtre de sang froid». Circonstance aggravante, un véhicule américain qui venait à la rescousse de Davis a tué un troisième homme en le percutant sur la route.
Depuis l’Américain est incarcéré et la Cour de justice de Lahore devrait déterminer le 14 mars prochain s’il bénéficie ou non de l’immunité diplomatique.

Les Etats-Unis multiplient leurs interventions pour tenter de résoudre la crise

Le président américain, Barack Obama, s’est lui-même exprimé  sur cette affaire en demandant la libération de son ressortissant, alors que le sénateur John Kerry se rendait parallèlement au Pakistan pour tenter d’apaiser la situation. En vain. Pour le ministre de la justice de la province du Penjab, Rana Sanaullah : «les déclarations publiques des Américains empêchent la résolution de cette affaire, plus ils s’expriment et plus ça excite la population, s’énerve le ministre, ça fait monter l’émotion et ça rend impossible le règlement de cette crise».

Le sentiment anti-américain est à son comble dans le pays et les religieux radicaux savent instrumentaliser cette colère. Des manifestations sont régulièrement organisées à Lahore depuis fin janvier. Après la grande prière du vendredi, le Jamat U Dawa -désigné comme une organisation terroriste par les Etats-Unis- chante des slogans hostiles à Davis. «Mort à Raymond Davis, l’agent de la CIA. Qu’il soit pendu», hurle dans un micro l’un des manifestants dont les propos sont repris en chœur par la foule.

Pour le peuple pakistanais, c’est le souveraineté nationale qui est en jeu

Aux yeux de l’opinion, le passé de Raymond Davis –qui a fondé une compagnie de sécurité privée-, les rumeurs persistantes qui le désignent comme un membre de la CIA et la confusion des explications de l’ambassade des Etats-Unis sur le statut de son ressortissant amplifient les doutes sur la véritable identité de Raymond Davis. «Nous, on a le même sang que les Américains, on devrait avoir les mêmes droits. Qu’est-ce que c’est que ce mercenaire qui se promène dans les rues de Lahore avec une arme ? Même s’il a une immunité diplomatique, est-ce que ça lui donne le droit de tuer les gens dans la rue ?», s’insurge Bachir Assad un manifestant avant d’ajouter : «Nos politiciens sont à la solde du président Américain. Nous, on défend notre dignité».

Alors que les Américains veulent extrader leur ressortissant, les Pakistanais sont dans une position délicate car la population fait de cette affaire une histoire de souveraineté nationale. Islamabad a un besoin crucial des Etats-Unis dont l’aide militaire et civile s’élève chaque année à des milliards de dollars mais parallèlement le Pakistan ne peut pas se mettre à dos son opinion qui ne lui pardonnerait pas de céder aux Américains. Et ce d’autant que les Etats-Unis qui ont multiplié leurs attaques de drones sur les zones tribales ces dernières années sont unanimement condamnés dans le pays.

Washington menace de couper ses aides à son allié si son ressortissant n’est pas libéré. Mais dans ce rapport de force, la position des Etats-Unis n’est guère plus enviable car ils ne peuvent se passer de leur partenaire pakistanais s’ils veulent mener leur guerre en Afghanistan.

 

Partager :