RFI : Comment avez-vous vécu ces premières journées de liberté ?
ASSK : J’ai tellement de gens à voir. Ça n’arrête pas ! C’est ce que je fais la plupart du temps depuis ma libération : rencontrer des gens.
RFI : Comment vous sentez vous ? Etes-vous en bonne santé ?
ASSK : De manière générale, je suis en bonne santé. Mais aujourd’hui, je dois vous dire que je suis très FATIGUEE. Je dois vraiment insister, le mettre en lettres capitales. Je rencontre les médias depuis ce matin. Donc là, je tombe de fatigue, je suis prête à aller me mettre au lit.
RFI : Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez vu l’effervescence qui a suivi votre libération et votre premier discours ?
ASSK : Ce qui m’a marqué, c’est de voir toutes ces personnes célébrer ensemble mon retour. Elles avaient toutes l’air si heureux. Et puis, il y avait tellement de jeunes dans la foule. Ça, c’est vraiment un grand changement. D’ailleurs, je veux donner à ces jeunes plus de responsabilités au sein de mon parti pour qu’ils prennent confiance et prennent le relais des plus âgés. Tous les pays changent, certains vite, certains lentement, et je pense que la Birmanie n’a pas évolué aussi rapidement qu’elle aurait dû. Mais elle a changé. Notamment, dans le cas d’un pays isolé comme le nôtre, le développement des télécommunications est très important.
RFI : Allez-vous, vous aussi, utiliser ces nouveaux moyens de communication ?
ASSK : Oui et non… C’est drôle, je ne sais toujours pas comment m’en servir ! J’ai tenu ces petits téléphones portables dans ma main pour la première fois. Je ne savais pas trop comment faire, s’il fallait le mettre au niveau de mon oreille, au niveau de ma bouche... Comment le tenir ? Je ne sais toujours pas comment composer un numéro de téléphone, je n’ai pas encore eu le temps d’apprendre. Donc les gens me tendent des téléphones et me disent, « tiens il y a quelqu’un qui veut te parler » et après ils le reprennent. Je n’ai pas encore mon propre téléphone.
Je viens de découvrir Internet, mais si je veux me connecter, il faut que je m’abonne et il y a une clause dans le contrat qui dit qu’on ne doit pas avoir d’affiliation politique. Donc, bien sûr je pense qu’ils savent assez bien que j’ai une activité politique. Donc je vais l’écrire officiellement sur ma demande d’abonnement et on va voir ce qu’il se passe.
RFI : Pour de nombreux Birmans vous incarnez l’espoir. Ce n’est pas un peu lourd à porter ?
ASSK : Je ne veux pas voir ça comme une charge. Je sais que les gens placent beaucoup d’espoir en moi et bien sûr moi je ne veux pas les décevoir. Mais je veux aussi qu’ils comprennent qu’ils ne doivent pas se reposer sur une seule personne ou un seul parti. Je vais faire de mon mieux. Mais ils doivent m’aider aussi. Ils ont leur part de travail à faire et ne doivent pas attendre tout de moi.
RFI : On a dit que l’opposition birmane était très divisée aujourd‘hui. Est-ce que vous diriez la même chose ?
ASSK : Parfois, je me demande si ces divisions sont réelles, si elles ne sont pas plutôt juste en surface. Mais je ne suis pas sortie de l’isolement depuis assez longtemps pour pouvoir faire le point sur la situation. Ces divergences ne sont peut-être pas aussi graves qu’on ne le dit. Je pense que nous voulons tous la démocratie et c’est ça notre cause commune.
RFI : Que pensez-vous par exemple des anciens membres de votre parti, la LND, qui ont fait scission pour se présenter aux élections ? Quel regard portez-vous sur ces politiciens ?
ASSK : En ce qui concerne leur décision de participer aux élections, je les mets au même rang que tous les autres partis candidats. Nous les traiterons exactement pareil que les autres. Si nous n’avons pas assez de choses en commun, si nous ne parvenons pas à trouver un accord sur certains principes, bien sûr ce sera dur de travailler ensemble.
RFI : Est-ce que vous avez déjà commencé à dialoguer avec eux ?
ASSK : Pas encore avec les partis politiques candidats aux élections, mais nous avons parlé à d’autres mouvements politiques et à des particuliers. Nous allons commencer à rencontrer les autres cette semaine.
RFI : Vous avez déjà rencontré des partis ethniques. Comment ça s’est passé ?
ASSK : Très bien. Nous avons de très bonnes relations avec les partis représentant les minorités ethniques. Nous devons travailler à créer ce que j’appellerais un « vrai esprit de l’Union birmane ». Je veux qu’ils se sentent tous appartenir à la même nation, leur dire que nous avons des intérêts communs et que cette nation est leur refuge. Nous plaçons d’ailleurs ces minorités ethniques au premier plan, car le plus important est de tous nous rassembler. Comme je l’ai déjà dit, si par hasard le parti pro-junte USDP veut aussi travailler avec nous à la démocratisation du pays, nous serons heureux de le faire. Et surtout, nous serions tellement heureux de travailler avec les militaires.
RFI : Avez-vous déjà demandé un entretien avec le numéro un de ce pays, le général Than Shwe ?
ASSK : Je pense que ce n’est pas encore le moment…J'espère que j’en aurai un, je pense que ce serait la meilleure chose possible. Mais je ne pense pas que ce soit encore le bon moment. Nous devons attendre de voir.
RFI : Quand vous parlez de « toutes les forces démocratiques », est-ce que vous intégrez aussi les groupes armés qui se battent à la frontière ? Les Karen, les Shan…
ASSK : Le problème c’est que légalement nous n’avons pas le droit d’avoir de contacts avec eux. C’est contraire à la loi. Mais nous voulons vraiment tous les intégrer. Eux aussi ont la volonté de résoudre nos différences par le biais de la politique et non plus par les armes. Je veux les intégrer. Après tout, ils font partie du même peuple, ils font partie de notre nation.
RFI : Certains revendiquent l’autonomie, l’indépendance… Vous pensez qu’ils peuvent renoncer à ça ?
ASSK : Il y a une énorme différence entre l’indépendance et l’autonomie. Et il y a différents degrés d’autonomie. Cela fait partie des choses dont nous devons parler ensemble. Je pense que ces groupes sont raisonnables, ils ne vont pas faire de demandes déraisonnables. Ils ont eu de longues années pour y penser. Ce que nous devons faire, c’est gagner leur confiance. Les Birmans sont l’ethnie majoritaire et je pense que nous, les Birmans, nous avons fait des choses dans le passé qui leur ont fait perdre confiance en nous. Nous avons besoin de reconstruire cette confiance.
RFI : Certaines personnes que j’ai interrogées en Birmanie critiquent votre position sur les sanctions. Est-ce qu’aujourd’hui vos prises de position sur les sanctions internationales ont changé ?
ASSK : Nous avons toujours été prêts à réviser notre position sur les sanctions. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on peut décider en une journée. Il faut étudier les choses encore et encore, petit à petit.
RFI : Vous pourriez aller à l’étranger ? Est-ce que vous envisagez d’aller à l’étranger bientôt ?
ASSK : Pas dans un futur immédiat. Car je ne suis pas sûre de pouvoir rentrer en Birmanie ensuite. Ils pourraient essayer de me garder à l’extérieur du pays et je sens que mon pays a besoin de moi.
RFI : Vous avez toute la liberté que vous voulez aujourd’hui ? Est-ce que vous vous sentez libre de faire ce que vous voulez ?
ASSK : Eh bien jusqu’ici, j’ai pu faire tout ce dont j’avais envie. Je ne sais pas combien de temps ça va durer, donc j’ai intérêt à faire de mon mieux.
Propos recueillis par Marie Normand