Les Ouzbeks, victimes de nettoyage ethnique

Un calme précaire règnait mercredi 23 juin dans le sud du Kirghizstan. La présidente Roza Otoumbaieva s'est rendue à Och, la grande ville du sud, où l'armée a commencé à retirer les barricades, tandis que la police procédait à des dizaines d'arrestations dans les milieux suspectés d'être à l'origine des violences interethniques.

La population de cette ancienne république d'URSS compte un peu plus de 5 millions de personnes, dont 400 000 obligées de fuir les violences. L'enchaînement des événements depuis la nuit meurtrière du 10 juin pose de nombreuses questions. Une seule certitude : les citoyens kirghizes d'origine ouzbèke sont les premières victimes. L'écrivain spécialiste de la région René Cagnat, résident à Bishkek, raconte un accrochage vécu il y a quelques jours non loin de Och.

Une estimation officielle porte à 2 000 le nombre de morts. C’est encore un bilan provisoire, et non vérifié car les grandes organisations humanitaires internationales n'ont pas accès à toutes les zones du pays.
D'autres témoignages font état d'actions similaires à celle que décrit René Cagnat, des opérations de nettoyage ethnique qui se sont multipliées entre le 10 et le 15 juin dans les régions de Och et Djalalabad. La ville de Och elle-même, deuxième ville du pays, portera longtemps les cicatrices des affrontements de ces derniers jours. Les habitants d’origine ouzbèke constituent près de la moitié de la population de cette ville, centre important des échanges dans la vallée de Ferghana. René Cagnat dépeint cette ville autrefois vivante et colorée, grouillante d’animation autour des bazars tenus par les Ouzbeks comme une ville désormais « noire, grise et blanche », après les incendies qui l’ont ravagée, une « ville morte » insiste-t-il.

Des Kirghizes, à la recherche de boucs-émissaires

En écoutant le témoignage de René Cagnat, on se rend compte que ces populations risquent d'avoir du mal à vivre ensemble désormais. En apparence, elles cohabitaient jusque là sans trop de difficultés.
Mais au fil des ans, un profond malaise s'est installé, facilement exploitable par les milieux criminels, eux-mêmes manipulables à des fins politiques, comme le dénoncent les autorités de transition à Bishkek, pointant du doigt le clan Bakiev.
Catherine Poujol de l'Inalco -l'Institut des langues orientales- s’est intéressée aux différentes étapes de l’installation des populations de la région, avant l’arrivée des soviétiques et la délimitation des frontières entre le Kirghizstan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan.
D’emblée, il a fallu trouver des compromis pour permettre aux populations d’origines diverses de cohabiter. Or, plusieurs décennies se sont écoulées, sans que le pouvoir kirghize ne parvienne à établir un régime respectueux des citoyens de divers origines ethniques. Même si cela ne suffit pas à expliquer les derniers événements, Catherine Poujol évoque le fort ressentiment des anciens pasteurs kirghizes sédentarisés à l’égard des Ouzbèkes.

L’attentisme face à la crainte d’un embrasement régional

La plupart des observateurs notent le rôle des mafieux dans les affrontements actuels. Une donnée qui contribue à brouiller les cartes, et semble peser dans les réticences des Etats voisins à intervenir. Les pays voisins et notamment le grand frère russe tentent d'éviter de se mêler de ce qu'ils présentent comme les «affaires intérieures» du Kirghizistan. D’autant que les tentatives d’ouverture démocratique du Kirghizistan depuis le renversement du président Akaiev par la rue en 2005 ne sont pas du goût des responsables régionaux, l’ouzbek Karimov en tête.
Quant aux grandes puissances telles que la Chine et les Etats-Unis, elles ont –elles aussi- intérêt à ce que la situation se stabilise, mais pour l'instant tous se réfugient dans l'attentisme. Le pouvoir de Bishkek insiste pour que se tienne un référendum constitutionnel ce dimanche, alors que 300 000 personnes se trouvent toujours déplacées et 100 000 réfugiées à l'extérieur du pays. C'est un pouvoir aux abois, en mal de légitimité, qui ne sait pas comment sortir de cette crise.

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