Situation incontrôlable dans le sud-ouest du Kirghizistan

Le sud-ouest du pays est toujours la proie d’une violence interethnique incontrôlable pour les autorités kirghizes. Ces dernières accusent l’ancien président en exil d’instrumentaliser des gangs armés pour déstabiliser le gouvernement provisoire, à deux semaines du référendum constitutionnel. Des dizaines de milliers de membres de la communauté ouzbèke ont franchi la frontière pour se réfugier en Ouzbékistan qui lance un appel à l’aide internationale et annonce la fermeture de sa frontière.

Quatre jours après le déclenchement des troubles, les informations contradictoires en circulation indiquent une situation confuse et encore très instable. En dépit de l’autorisation donnée aux forces de l’ordre d’ouvrir le feu, de l’imposition du couvre-feu et de l’état d’urgence dans les régions concernées, de la mobilisation des réservistes et des renforts dépêchés sur place, le gouvernement provisoire semble donc toujours éprouver les plus grandes difficultés à restaurer complètement l’autorité de l’Etat dans le sud-ouest du pays.

Les témoignages en provenance des régions concernées indiquent une situation extrêmement tendue et parfois incontrôlable, notamment dans les localités d’Och et Jalalabad où des bandes armées, constituées de Kirghizes et soutenues par les forces régulières, massacrent les Ouzbeks. Des actes de cruauté et de tortures sont rapportés. Och est le théâtre de combats de rues sporadiques, dont l’intensité semble varier d’heure en heure, de destructions, d’incendies et de pillages dont les membres de la communauté ouzbèke, principalement commerçants, sont clairement les victimes.

L’exode des Ouzbeks

Les troubles ont démarré dans la nuit de jeudi 10 au vendredi 11. Ce lundi, à Och, des témoignages faisaient état de la présence de corps calcinés dans le rues de la localité. A Jalalabad la situation se détériore, indiquait lundi matin un membre du gouvernement, et les autorités ne disposent pas des effectifs pour reprendre un contrôle complet de la situation.

En conséquence, parmi les membres de la communauté ouzbèke, c’est la panique. Les témoignages publiés par les agences de presse disent que le centre-ville d’Och est sous le contrôle des « bandits ». La crainte du chaos a jeté des dizaines de milliers d’Ouzbeks sur la route de l’exode. Selon les sources, entre 30 000 et 100 000 personnes se sont enfuies vers l’ouest, et ont franchi la frontière de l’Ouzbékistan toute proche, ajoutant ainsi au problème politique celui des réfugiés. Les organisations non-gouvernementales lancent des mises en garde contre une crise humanitaire majeure, avec des autorités kirghizes et des services de secours complètement dépassés par l’ampleur prise par les événements. Lundi 14 juin, le vice-Premier ministre ouzbek a lancé un appel à l’aide internationale et a annoncé la fermeture des frontières de son pays aux réfugiés en provenance du Kirghizistan. Selon Abdoullah Aripov, jusqu’ici son pays a accueilli 45 000 personnes.

Torpiller le référendum

Pour le gouvernement provisoire kirghize, ces événements sont téléguidés par l’ancien président Bakiev depuis son exil en Biélorussie, où il s’est enfui après les émeutes qui ont conduit à sa destitution au mois d’avril dernier. Plusieurs spécialistes de la région ont réuni au cours de ces derniers jours un corpus de déclarations et d’informations qui renforcent cette thèse. Kourmanbek Bakiev n’a jamais caché sa volonté de reprendre le pouvoir à Bichkek. Nombre d’observateurs avertis de la vie politique régionale lui prête, malgré son lointain exil, une d’influence considérable qui repose sur des leviers à la fois politique, clanique, familiaux et, surtout, mafieux.

De surcroît, le calendrier fournit une explication et un argument supplémentaires pour justifier le déclenchement des hostilités : le 27 juin, un référendum constitutionnel doit se tenir au Kirghizistan, en prélude à des élections générales et Koumanbek Bakiev n’a pas caché non plus son hostilité au projet, voire sa volonté de le torpiller par tous les moyens. Nombre d’analystes s’attendaient d’ailleurs au déclenchement d’événements de cette nature avant la tenue du scrutin. Ils expliquent que les divisions ethniques sont exploitées à des fins politiques, que les violences sont le fait de gangs au service de l’ancienne direction, payés par elle. L’essentiel, explique l’un d’entre eux cité par l’AFP, c’est que, « de l’extérieur, ça ressemble à un conflit interethnique (…). Et ça marche ! ».

Préoccupation internationale

Si la situation politique kirghize s’inscrit dans la dynamique globale de la stabilisation compliquée des marches de l’ex-empire soviétique, il n’en demeure pas moins que ce pays d’Asie centrale possède des caractéristiques propres qui compliquent singulièrement la donne. Sa position géo-stratégique est actuellement particulièrement « avantageuse », entre Chine, Tadjikistan, Ouzbékistan et Kazakhstan : autant dire au cœur d’une région passablement agitée, à un « jet de pierre » de l’Afghanistan.

Russes et Américains y entretiennent des bases militaires et aériennes d’utilité stratégique, très chèrement acquises auprès de l’ancienne direction. D’où les très nombreuses déclarations d’inquiétude prononcées à l’étranger où l’évolution de la situation kirghize est une source de profonde préoccupation.

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