Bolivie: appel au dialogue d'Evo Morales, aussitôt rejeté

Le président Evo Morales a lancé samedi 9 novembre un appel au dialogue aussitôt rejeté par l'opposition. Des incidents se sont poursuivis dans la nuit dans une Bolivie sous haute tension, avec des mutineries d'unités policières et l'occupation de médias d'État par des manifestants.

La Bolivie vit une crise politique majeure depuis trois semaines. Une partie de la police est désormais rangée du côté des manifestants, qui demandent toujours l’annulation de l'élection présidentielle, qu'ils jugent frauduleuse. L’opposition reste mobilisée, tandis qu'Evo Morales, le président dans la réélection est contestée, dénonce un coup d’État. L'ambassadeur de Bolivie en France a démissionné, réclamant « la pacification du pays et les retrouvailles du peuple bolivien ».

Dans la soirée de samedi, des incidents avaient toujours lieu à El Alto, ville collée à la capitale, La Paz, et considérée comme un bastion du chef de l'État. Des groupes de manifestants pro-gouvernement bloquaient le péage sur l'autoroute reliant les deux villes, tandis que les installations d'une chaîne de télévision privée, Unitel, ont été détruites, selon cette dernière. Selon M. Morales, la maison du gouverneur d'Oruro, dans l'ouest, a été incendiée, comme celle de sa propre sœur.

« Je lance un appel au dialogue avec les partis qui ont obtenu des sièges au Parlement lors des dernières élections générales, soit quatre partis », a déclaré Evo Morales, reconduit le 20 octobre dernier au premier tour à la tête du pays pour un quatrième mandat, lors d'un discours à la nation appelant les policiers mutinés à mettre fin à leur mouvement. Le leader indigène de gauche est au pouvoir depuis 2006. L'opposition ne le reconnaît plus et réclame sa démission.

L'invitation au dialogue déjà rejetée

La vague de contestation qui a éclaté dès le lendemain du scrutin a fait trois morts et 200 blessés ces dernières semaines. Pour Evo Morales, la situation est grave : il a appelé samedi la communauté internationale, et même le pape François, à suivre de près la crise actuelle dans le pays. S'il a invité les grands partis politiques du pays au dialogue, Carlos Mesa, principal dirigeant d’opposition, a rejeté l'offre : « Je n’ai rien à négocier avec Evo Morales », a-t-il déclaré samedi.

L'invitation du président laisse de côté tous les comités civiques, syndicats et associations de citoyens, qui revendiquent n’appartenir à aucun parti mais qui sont bel et bien dans les rues depuis quasiment trois semaines, précise notre correspondante sur place, Alice Campaignolle. Face à l’inquiétude des citoyens boliviens d’une possible intervention de l’armée, en raison du repli de la police, le commandant des forces armées a cherché à rassurer la population, samedi.

« Nous garantirons l’union entre nos compatriotes, c’est pour cela que nous nous engageons à ne jamais nous confronter au peuple, à qui nous sommes redevables », a-t-il dit. Car les Boliviens ont en mémoire des moments terribles de leur histoire, où l’armée était intervenue pour réprimer des manifestations, au prix de dizaines de morts. Ce dimanche, les opposants à M. Morales continuent d’occuper les rues et des affrontements très violents éclatent encore dans le pays.

Quel rôle désormais pour la police ?

Depuis samedi, plusieurs grandes villes ont été le théâtre de mutineries policières. Certains policiers sont montés sur le toit de leur caserne pour agiter le drapeau bolivien alors que d’autres sont descendus dans la rue pour se joindre aux manifestations. Ce dimanche à La Paz, des policiers ont signalé leur soutien aux mutins en se retirant d'une place centrale de la capitale du pays. Un geste symbolique fort, explique le sociologue Claude Le Gouill.

« Ce qui aurait pu être un acte plutôt symbolique au départ, est en train de se convertir comme un coup de force majeure, commente le chercheur associé au Centre de recherche et de documentation des Amériques et à la Fondation Maison des sciences de l'homme, à Paris. Parce que les policiers de La Paz se sont eux-mêmes montrés en mutinerie et ont abandonné l’occupation de la place Murillo, qui est la place centrale où se trouvent les principaux bâtiments officiels. »

« Il y a une véritable course à la conquête de cette place, sachant que le principal opposant, Luis Fernando Camacho, a indiqué que lundi il serait à cette même place pour donner une lettre de renoncement à Evo Morales. Donc, il y a vraiment un véritable enjeu à sa conquête. Le fait que la police de La Paz ne soit plus présente en nombre est pour le coup assez inquiétant. Le gouvernement en appelle à la responsabilité des uns et des autres », explique Claude Le Gouill.

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