Dans la maison familiale règne un ordre bourgeois. Meubles de bois sombre, crucifix au mur, une femme - belle - et deux enfants. Pablo, le personnage principal du film de Jayro Bustamante, est un modèle de réussite sociale, mais si Dieu aime les pécheurs, il déteste le péché... Et Pablo a commis l'irréparable ; il a été surpris en compagnie d'un homme. Au fil de la narration, il perd tout : sa famille puisqu'il doit quitter le domicile familial; son travail et sa situation sociale. Un véritable séisme.
« Une société oppressive » basée sur le mensonge
La scène de l'irréparable est hors champ parce que, nous explique Jayro Bustamante, « ce qui m'intéresse, ce n'est pas de raconter un "coming out" » dans une société très corsetée et traditionnelle, mais plutôt de comprendre comment les gens « utilisent des couvertures » pour se protéger par exemple en épousant une femme et en fondant une famille pour être dans la norme. La femme est en fait une sorte de paravent social. « On utilise une femme pour se cacher, on fait des enfants, on ment à tout le monde, mais c'est naturel ! Quand on vous interdit de dire qui vous êtes réellement, vous devenez un menteur... et quand on devient un menteur et on peut mentir toujours plus [...] ce n'est pas un film qui parle d'homosexualité, mais d'une société oppressive ! »
Le réalisateur nous raconte que pour la préparation du film et la mise en condition des acteurs (seulement quatre des personnages sont des comédiens professionnels), il leur a demandé de lui raconter comment était leur famille. « Il y avait des frères bigames, des mères qui avaient trompé leur mari ou des pères qui avaient trompé leur femme, mais tout ça n'était pas grave. Ce qui est grave c'est ce qui peut nuire à l'ordre moral. » La société et l'église peuvent s'accommoder des petits mensonges tant qu'ils sont confinés dans le secret des alcôves et des confessionnaux.
Les thérapies de conversion de l'église évangéliste
Pour « se soigner », sous la pression de la famille (quand la tribu devient tribunal, une scène très forte du film), pour restaurer sa virilité supposément perdue, Pablo entreprend une thérapie de conversion au sein de son église. Pablo et les siens sont évangéliques, des chrétiens conservateurs, une église introduite au Guatemala par le dictateur Rios Montt, nous explique Jayro Bustamante. Une église qui se pose en alternative à un État défaillant, fournissant des services sociaux et matériels que « l'Etat ne propose pas parce qu'il est inexistant, complètement corrompu ». Une église extrêmement riche (ses relations très décomplexées avec l'argent apparaissent clairement dans le film) et puissante.
S'afficher comme évangélique est une manière de rassurer et de se vendre y compris pour les politiques, souligne Jayro Bustamante. Une stratégie qui a réussi à Jair Bolsonaro au Brésil. À Ciudad de Guatemala, les chauffeurs de taxis Uber « affichent leur religion: évangélique consacré, évangélique pratiquant, c'est très important ! C'est une façon de dire : je suis quelqu'un de bien parce Dieu est avec moi ! »
Une église qui doit en partie sa popularité à la lutte qu'elle a menée contre l'alcoolisme au Guatemala, selon le réalisateur. « Elle a eu un rôle très positif contre l'alcoolisme, et ça lui a amené beaucoup d'adeptes... Elle a proposé des cures. Surtout dans les zones rurales, beaucoup d'hommes ont arrêté de boire, aussi les femmes sont devenues un fort soutien pour ces églises : c'est normal parce que les violences contre elles sont très fortes. Si le mari est moins bourré, il tape moins ! » Et on sait que le Guatemala est l'un des pays les plus violents au monde pour les femmes, rappelle Jayro Bustamante.
Une purge en trois temps
Pour redevenir un « homme », un père de famille « normal », le traitement proposé par l'église évangélique « se décompose en trois temps, raconte le réalisateur. La première partie consiste à détruire l'amour propre et l'estime de soi, comme ça on comprend que l'on est pécheur ; la deuxième phase est la destruction sociale - l'image sociale de l'individu et de sa famille, enfants compris, est affectée - et à la fin, la destruction physique, qui est terrifiante ! » Chaque phase est illustrée par le scénario : le licenciement, l'éloignement des enfants pour éviter leur « contamination » d'autant que les homosexuels sont toujours soupçonnés d'être pédophiles, les séances d'autoflagellation, la castration chimique (quand l'individu perd toute intimité, une autre scène forte du film).
Dans toute cette noirceur, une mention particulière pour deux personnages particulièrement « lumineux » du film, une expression de Jayro Bustamante : Francisco, l'amant de Pablo, un masseur qui soigne les corps et les âmes, interprété par Mauricio Armas, et Rosa, la nounou de famille, une solide Indienne aimante et sensée, bouée de sauvetage de Pablo dans ce délire mystique. Maria Telón, la comédienne était déjà présente dans le film Ixcanul. Ils apportent tous deux une touche de fraîcheur et de sincérité quasiment solaires qui fait contrepoids à la glaciation morale du clan familial de Pablo.
Le cinéma pour sensibiliser et éduquer
Grâce à Ixcanul, qui avait été récompensé à Berlin et qui avait eu un joli succès commercial, Jayro Bustamante a créé à Ciudad de Guatemala une salle de cinéma, « la seule salle qui propose des films indépendants, dans le centre historique de la capitale, après avoir été une salle de cinéma dans les années 1940, puis un cinéma porno et enfin une église évangélique », et aussi une fondation pour sensibiliser aux droits humains en utilisant le cinéma comme arme pédagogique et pour apprendre à faire des films.
Le film Tremblements sera aussi utilisé comme un « outil » en faveur de la tolérance : la fondation Ixcanul a négocié avec plusieurs églises pour qu'elles diffusent le film. « Je ne sais pas si cela va changer quelque chose, mais au moins elles se prêtent à la discussion ». Mon film « n'est pas un discours contre Dieu ou contre la foi mais il dépeint les comportements sociaux et les églises en tant que groupes sociaux avec des règles qui peuvent opprimer... »
On pressent qu'il faudra encore beaucoup de secousses et tremblements pour que le Guatemala se débarrasse de la chape de plomb des hypocrisies sociales.
►Le film a été récompensé du prix du public au festival Cinélatino 2019