« Quel orgueil pour tous les Argentins : Diego (Maradona), le pape (François), la reine de Hollande, Messi et maintenant toi, cher Daniel ! ». Voilà comment l'édile local, tout en rondeurs et faconde, accueille Daniel Mantovani, prix Nobel de littérature, de retour dans son village natal de Salas. Un grand classique de l'autocélébration argentine, dont les Argentins eux-mêmes se moquent !
Oui, « je suis de Salas, quand bien même je ne le voudrais pas », reconnaît Daniel, magistral Óscar Martínez, récompensé pour ce rôle au festival de Venise en 2016. Salas, un village typique de la pampa, petites maisons basses et modestes entourées de grilles, ciment fatigué et peintures délavées. Des rues tirées au cordeau filmées au ras des déambulations de Daniel pendant lesquelles une poignée d'admirateurs le suivent et le filment avec des téléphones portables alors que d'autres, telles des statues de sel, semblent contempler le temps qui passe. Pas d'horizon et peu de perspective alors que l'étendue de la pampa est là, au bout de la rue.
Salas, une galerie de personnages
Trente ans que Daniel Mantovani a littéralement fui son village natal, explique-t-il à sa secrétaire. Et il avait toujours refusé d'y remettre les pieds. Pourquoi ? On le découvre au fur et à mesure que la narration avance et que l'émotion - quand même - de Daniel à retrouver quelques personnages de son passé, se dissipe. Sa professeure de français, son vieux copain Antonio qui lui a piqué son ex-fiancée Irene... Jubilatoire séquence du petit film en hommage au fils prodige de retour à la maison.
Salas, c'est une Argentine rurale, engoncée dans une forme de médiocrité satisfaite que l'écrivain dépeint avec verve, et peut-être cruauté, dans ses romans. Pourquoi y retourne-t-il ? Parce que notre Nobel est en mal d'inspiration. Trois ans que l'écrivain n'a pas écrit de roman or Salas est sa muse. « Moi, je n'ai fait qu'une chose dans ma vie, m'échapper de ce lieu. Mes personnages, eux, n'ont jamais pu en sortir et moi je n'ai jamais pu y retourner. » Il lui faut donc retourner à la source, dans le petit théâtre de Salas.
Il y a là une galerie de personnages haute en couleur. Touchants pour certains comme Irene ou ce vieux monsieur qui réconforte l'écrivain anéanti d'un maté, terrifiants pour d'autres comme Romero, le cacique local et ses nervis qui rappellent d'autres époques sombres de l'histoire nationale. Un concentré d'Argentine avec ses bolas et abrazos, embrassades viriles poitrine contre poitrine, que l'écrivain a bannies au profit d'une plus « civilisée » poignée de mains.
« Il n'y a pas de faits, il y a des interprétations »
Un théâtre argentin certes, mais au-delà une comédie humaine, car, comme le rappelle l'introduction du Nobel, une œuvre, même ancrée dans une réalité locale, « les récits intimes » d'une petite ville, transcende cette réalité pour embrasser « les plus grands thèmes universels », des passions humaines comme la jalousie ou la rancœur. Jubilatoire réflexion sur l'écriture aussi à laquelle se prête Daniel Mantovani dans des conférences devant un public qui s'amenuise au fil du film.
Mais à trop fouiller l'intimité d'une ville, on se fait des ennemis d'autant qu'il n'est pas toujours facile d'expliquer où s'arrête la réalité et où commence la fiction ! Et d'ailleurs, le spectateur se laisse prendre à ce jeu, dans ce film organisé en chapitres, comme un roman, où le héros, notre écrivain, est lui-même un personnage. D'ailleurs pour parachever l'œuvre, ne devra-t-il pas mettre en scène sa propre mort ? « La mort, et tout s'aplatit et s'ordonne ». Mais la réalité n'existe pas, il n'y a que des interprétations.