C'est la femme qui a créé Dieu et non l'inverse. Et d'ailleurs, elle n'en n'a pas créé qu'un seul mais plusieurs, mâles et femelles, à son image, les a bénis et leur a demandé d'être féconds et de remplir la Terre. Ce qui fut fait. L'injonction de la Genèse, réécrite, ouvre le film. Elle est contée par la comédienne Géraldine Chaplin, visage parcheminé éclairé par les flammes d'un feu qui crépite. Elle ouvre le livre de la vie de quatre femmes d'El Bolson, au pied de la chaîne des Andes.
Terre australe, cimes enneigées, torrents glacés, arbres couverts de lichens chevelus. Nous sommes sur le territoire où se sont installés les Indiens Mapuches, dans une vallée où, à partir des années 1960, fuyant Buenos Aires, des communautés hippies ont installé leurs tipis. La population d'El Bolson est à l'image du pays, cosmopolite, fruit d'immigrations croisées et de peuplement autochtone.
Dans la Genèse, le premier chapitre du film, les quatre femmes racontent leur naissance - pour les deux autochtones - ou leur arrivée dans la vallée, leur re-naissance, pour les Porteñas. Il y a Maicoño aux longues tresses serrées, d'origine Mapuche. L'histoire de ce peuple est celle - encore aujourd'hui - d'une spoliation (de son territoire) et d'une négation (de sa langue et de sa culture). Maicoño raconte comment jeune fille, pour avoir les cils recourbés des Occidentales, elle les travaillait avec une cuillère. Il y a aussi Maria la guérisseuse qui se déplace à cheval, casse du bois et élève des moutons. Ses longues mains aux doigts fins ont le pouvoir de soigner, et enfant, elle faisait bouillonner l'eau des mares. Il y a aussi Samiha, arrivée de Buenos Aires avec ses 7 enfants, sans un sou, fuyant la misère et la maladie. Avec juste l'espoir d'une vie meilleure. Il y a enfin Humana à qui un mage armé d'une boussole galactique, rencontré à Buenos Aires, a conseillé de venir rejoindre ce lieu où il était possible de vivre en harmonie avec la nature.
Une (re)naissance au pied des Andes
Elles se racontent, livrent des choses intimes à la caméra qui les suit avec beaucoup de pudeur et de tendresse dans leur confession comme dans les gestes du quotidien. Laver les langes des (nombreux) enfants au torrent, linge blanc déployé par le courant d'eau claire et nuages effilochés par le vent. Laine brute que la femme nettoie de ses impuretés et fumée de l'eau qui bout sur la cuisinière des modestes maisons de bois. La nature est belle, les femmes sont belles et les images respirent.
Dans la vallée, chacune de ces femmes a trouvé sa place au sein d'une communauté spirituelle - la petite ville d'El Bolson accueille une soixantaine de cultes - et c'est le deuxième chapitre du film, l'Illumination. Pour Maicoño, ce seront les cultes traditionnels de son peuple qu'elle se réapproprie ; le bouddhisme tibétain permettra à Maria de maîtriser les forces telluriques qui l'habitent ; Samiha, elle, sera « embrassée par l'islam » et remercie Allah en édifiant de ses mains une petite mosquée de laine et de glaise mélangées ; enfin Humana qui a trouvé son bonheur en devenant Kin 232, « Humaine spectrale jaune de la Vague ensorcelée du vent » au sein d'une tribu qui pratique un culte lunaire inspiré des cultes mayas.
Chacune de ces femmes s'est (re)construite une identité dans ce lieu, a créé son dieu, a construit son temple, explique la conteuse dans l'épilogue, L'Apocalypse. Chacune s'est inventée une nouvelle vie, car au-delà de la spiritualité c'est aussi de la place de chacun(e) dans le monde dont il est question. Les quatre personnages n'ont pas la même intensité mais la force tranquille de ces femmes qui ont choisi leur destin donne à ce conte panthéiste une grâce certaine.