Colombie: un nouvel accord, mais tout reste à faire

Le nouvel accord de paix entre le gouvernement colombien et la guérilla des FARC sera signé ce jeudi 24 novembre à 17h au Théâtre Colón à Bogota. Après le rejet par référendum du texte de l'accord signé en grande pompe à Carthagène le 26 septembre dernier, le gouvernement et l'opposition ont multiplié les réunions. Et le président Santos a donc décidé d’accélérer la procédure.

Le président Juan Manuel Santos estime que le cessez-le-feu prolongé jusqu’à la fin de l’année est fragile. Des incidents se sont produits ces derniers jours. Plusieurs leaders sociaux et paysans ont été assassinés ces dernières semaines. La guérilla craint de revivre le scénario du début des années 1990, lorsque plus de 3 000 militants de l’Union patriotique, un parti de gauche issu de la guérilla, avaient été assassinés.

Depuis plusieurs semaines, les guérilléros ont commencé à se regrouper dans les zones de cantonnement, en vue de leur démobilisation. Mais avec le « non » au référendum, tout a été arrêté. Les chefs des FARC doivent tenir leurs troupes alors que les garanties de protection prévues dans les accords ne sont pas entrées en vigueur.

Des changements cosmétiques, selon l’opposition

Après le rejet des accords de paix à une courte majorité (50,2 %), le gouvernement a multiplié les réunions avec l’opposition et avec les FARC, pour aboutir à la version du texte de 310 pages finalisée le 12 novembre dernier. Il estime que la grande majorité des points litigieux pointés par les opposants ont été abordés et renégociés avec la guérilla, comme la participation politique des guérilléros ou la justice transitionnelle et que le nouveau texte constitue un meilleur accord. Mais pour l’opposition, ces changements ne sont que cosmétiques.

Parmi les points contestés, l’opposition demandait que les chefs de la guérilla accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ne puissent participer en politique qu’une fois leurs peines purgées. Autre point : l’opposition refuse de lier les activités de trafic de drogue aux crimes politiques, qui pourraient de ce fait être amnistiés. Sur la justice transitionnelle, les changements apportés au texte ne vont pas suffisamment loin d’après les partisans du « non ».

Dans son allocution ce mardi, comme s’il s’adressait à l’opposition, le président Juan Manuel Santos a reconnu que l’accord n’était pas parfait, mais qu’il fallait passer à l’action : « Ce nouvel accord ne satisfera sans doute pas tout le monde, mais il en va ainsi avec les accords de paix. Il y a toujours des voix critiques, c'est compréhensible et respectable. Mais mon devoir et mon engagement envers les victimes, les jeunes, les paysans, envers vous tous, c’est de protéger la vie, de terminer ce conflit armé, et de préserver l’espoir de paix et de réconciliation pour notre pays. »

Juan Manuel Santos compte sur une large majorité pour faire passer le texte au Parlement. L’Unité pour la paix comprend les députés et sénateurs de la coalition gouvernementale et ceux qui ont soutenu l’accord de paix, comme le parti Vert et le Pôle démocratique, parti de gauche, et les indigènes. En revanche, les membres du parti conservateur restent divisés sur l’accord de paix, même si la plupart soutenaient le texte précédent. Une fois signé, le texte sera ratifié probablement la semaine prochaine par le Parlement.

Pas de grand pacte national

Le gouvernement, qui prônait un référendum populaire, a changé son fusil d’épaule après le rejet du texte le 2 octobre dernier. Il craignait de ne pas bénéficier d'une large majorité et a choisi de le faire ratifier par le Parlement, fait remarquer Frédéric Massé, directeur du centre de recherches et projets spéciaux de l’Université Externado de Colombie. Et inversement, l'opposition qui était a priori contre le vote populaire s’est sentie grandie par la victoire du « non », et réclame désormais que la nouvelle version du texte soit ratifiée par référendum.

Au grand regret du gouvernement et du président Juan Manuel Santos, ces accords de paix n’ont pas abouti à une unité du pays et à un grand pacte national. La population reste très divisée et l’enthousiasme est retombé. Les uns se disent fatigués de la guerre et souhaitent la mise en œuvre rapide de ces accords de paix pour faire baisser les tensions liées au conflit armé qui dure depuis plus de 50 ans. Les autres refusent d’octroyer des concessions aux guérilléros qui ont fait régner la peur et qui ont vécu des extorsions, des enlèvements et du trafic de drogue.

L’opposition politique, dont la figure de proue est l’ex-président Alvaro Uribe, reste très hostile à des négociations avec les guérilléros des FARC qu’elle considère comme des terroristes et des trafiquants de drogue. Dans un communiqué, le parti Centre démocratique déclare ce mercredi que « le gouvernement veut tromper les citoyens en accusant de violence ceux qui rejettent son accord d’impunité avec les FARC ».

Une difficile mise en œuvre

Certains estiment que Juan Manuel Santos, qui s’est vu octroyer le prix Nobel de la paix, voulait accélérer la signature et la ratification de ce nouveau texte pour arriver à Stockholm le 10 décembre avec un accord de paix en poche lorsqu’il recevra sa récompense. Mais, rappelle Frédéric Massé, la mise en œuvre des accords de paix sera encore plus difficile, notamment en ce qui concerne le point sur la réforme agraire, et la restitution de terres aux victimes du conflit.

L’opposition, qui a des visées sur l’élection présidentielle de 2018, continuera de faire entendre ses divergences, et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis pourrait, elle aussi, compliquer la mise en œuvre des accords, si la nouvelle administration entend demander l’extradition des chefs de la guérilla pour trafic de drogue, ou annuler les promesses de fonds pour la reconstruction et le post-conflit qu’Obama devait soumettre au Congrès américain.

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