C’est jour de fête ce samedi matin sur le pont qui sépare Cúcuta, en Colombie, de San Antonio, au Venezuela. Une modeste fanfare est venue accueillir les Vénézuéliens privés de sortie depuis onze mois et seize jours, rapporte notre envoyée spéciale à Cucuta, Marie-Eve Detœuf.
A Cúcuta, les autorités locales ne cachent pas leur satisfaction comme l’explique le gouverneur local, Didier Tavera. « Ici c’est la fraternité et la nécessité qui se sont imposées. Nous avons besoin de vendre au Venezuela, notre client naturel. Au Venezuela, nos frères de la République bolivarienne ont besoin de nourriture et de beaucoup de choses. C’est donc une bonne affaire, les deux pays y gagnent ! »
Sur le pont, où la foule se presse, les militaires colombiens distribuent des jus de fruits et des ballons aux enfants. Pour les Venézuéliens adultes, la joie du moment ne fait oublier les difficultés que traverse actuellement leur pays comme l’explique à RFI Teresa, âgée de 47 ans. « C’est très émouvant ! Cela faisait un an que je n’étais pas venue, depuis qu’ils avaient fermé la frontière ! Voir les rayons pleins, c’est un choc ! Au Venezuela il n’y a rien. Vous les croyez ceux qui sont au pouvoir et qui disent que l’on trouve de tout ? Mensonges ! Les gens meurent madame, parce qu’ils n’ont pas de médicaments pour la tension.»
Les bonnes affaires des commerçants colombiens
Avant la réouverture de la frontière, les commerçants colombiens se réjouissaient des bonnes affaires à venir. Pour nous aussi la réouverture de la frontière est une « bonne nouvelle, parce que ça dynamise notre économie, expliquait à RFI Yamile, commerçante à Cúcuta. La situation de la ville de Cúcuta va s'améliorer puisqu'on pourra à nouveau commercer avec les venezueliens. Cela va avoir un impact positif sur l'economie de la ville. Le mois dernier quand il y a eu une courte ouverture de la frontière, le gouverneur avait pris des mesures pour qu'il y ait assez de ravitaillement dans les magasins colombien et maintenant aussi nous avons suffisament de marchandise pour répondre à la demande vénézuélienne ».
Une frontière passoire pour les trafics
Le Venezuela et la Colombie partagent une frontière de 2 219 km, et les autorités des deux pays dénoncent régulièrement les activités de groupes de guérilleros, de paramilitaires, de trafiquants de drogue et d'essence.La frontière a été fermée en août 2015 à l'initiative du Venezuela à la suite à la suite d'une embuscade dans le nord-ouest du pays, dans laquelle trois militaires et un civil avaient été blessés. Une attaque attribuée à des trafiquants de drogue.
Les pertes économiques liées à la fermeture de la frontière colombo-vénézuélienne sont estimées à 100 000 dollars par jour et la ville de Cúcuta a toujours vécu du trafic transfrontalier légal et moins légal. Selon des chiffres officiels, la contrebande, notamment d'essence en provenance du Venezuela, a chuté de plus de 30 % depuis août 2015.
Paradoxe, ce sont les Colombiens qui s’inquiètent aujourd’hui des conséquences sécuritaires de l’ouverture de la frontière. A Cúcuta, les commerçants se félicitent de voir repartir le commerce bilatéral mais évoquent aussi la crainte de voir des délinquants se glisser dans la foule des Vénézuéliens désormais autorisés à aller et venir. Le Bolivar, la monnaie vénézuélienne, est tellement dévalué que les braquages ou les assassinats pour trois sous colombiens vont devenir rentable, entend-t-on dans les rues de Cúcuta, rapporte Marie-Eve Detœuf.
Pour mémoire, la Colombie a longtemps occupé la première place continentale en matière de violence et d’enlèvements. La perspective d’un accord de paix avec la guérilla, il devrait être bientôt signé, et la résolution du conflit armé font un peu oublier que la Colombie reste le premier producteur mondial de cocaïne et un pays surarmé. Que la frontière avec le Venezuela soit ouverte ou fermée.
Les ministres de la Défense des deux pays, Luis Carlos Villegas (Colombie) et Vladimir Padrino (Venezuela) doivent de réunir prochainement pour discuter de la sécurisation de cette frontière.