« Nous ne faisons pas ici le procès de la procureure Mosby. » Ce mercredi, le juge Barry Williams, qui préside la cour pour cette audience préliminaire sur le cas Freddie Gray, a été obligé de reprendre les avocats de la défense à deux reprises, rapporte la correspondante de RFI à Washington, Anne-Marie Capomaccio.
La procureure accusée de partialité
La mort de Freddie Gray, le 19 avril dernier alors qu’il avait été arrêté quelques jours plus tôt par la police, a déclenché de violentes émeutes à Baltimore, débouchant sur l'instauration d'un couvre-feu. Le jeune homme noir, âgé de 25 ans, avait été grièvement blessé aux cervicales lors de son arrestation très violente, le 12 avril. « Les vies noires comptent », scandaient alors les manifestants de Baltimore, qui n’avait retrouvé le calme qu’après l’inculpation de six policiers par la procureure Marilyn Mosby.
Mercredi, lors de l’audience préliminaire, la juriste a été la cible de plusieurs motions déposées par les avocats des six policiers, qui demandent la récusation de la procureure. Ils accusent notamment Marilyn Mosby d'avoir « encouragé » les manifestants en « adhérant à leur cause ». La défense des policiers estime qu'en tant que membre de la communauté noire, la procureure a un point de vue « biaisé ». « Elle est persuadée de la culpabilité des prévenus », estiment-ils.
Prochaine étape judiciaire le 10 septembre
Des recours qui ont été rejetés. Le juge Barry Williams a non seulement maintenu la procureure Mosby, mais il a aussi refusé d’abandonner les charges contre les policiers. Il a en revanche accédé à une demande de la défense : les six officiers - trois policiers blancs et trois policiers noirs - seront jugés séparément.
Le procès va donc continuer sur les chefs d’accusation retenus à l’encontre des six policiers, dont l’un est accusé de meurtre, quatre d’homicide involontaire et tous de mise en danger de la vie d’autrui. La prochaine étape du procès est fixée au 10 septembre prochain, à l'issue de laquelle le procès pourrait - ou non - être dépaysé. Si le procès se tient bien à Baltimore, il s'ouvrira réellement le 13 octobre prochain, avec la sélection des jurés.
Le rejet des motions déposées par les avocats des policiers a été salué comme une « victoire » par l’ONG Baltimore People’s Power Assembly, qui a cependant souligné qu’il s’agit l’à d’une « première étape ». Mercredi, devant le tribunal, des manifestants du mouvement « Black Lives Matter » - « les vies noires comptent » -, attendaient impatiemment le résultat.
« Je suis là parce que je veux que justice soit rendue pour Freddy Gray. Je veux que tous les policiers qui tuent des Noirs innocents aillent en prison », explique au micro de RFI Lee Paterson, un citoyen de Baltimore qui juge le cas Freddie Gray « emblématique », car c'est le premier procès de membres des forces de l'ordre après une année d'émeutes raciales contre les violences policières. « Je n'en peux plus de cette situation, où les flics peuvent tuer des Noirs au hasard. Ils reçoivent au mieux une petite tape sur la main et c'est tout. Cela doit prendre fin ! Les vies noires comptent ! »
Pour ces manifestants, la procureure Marilyn Mosby est devenue le visage de la justice. « Marilyn Mosby se dresse devant l’injustice. Et elle dit : " Je vois que des changements sont nécessaires, et nous allons agir " », estime Julie Mc Grégor, une militante. Pour elle, « ce procès doit avoir lieu ici, dans la ville de Baltimore. C’est ici que ça s’est passé. Les citoyens doivent pouvoir participer. »
Climat tendu à Baltimore
Sur 700 cas de citoyens tués par la police cette année, dans quatre affaires seulement, les policiers ont été inculpés, et Baltimore est le premier procès. Le dossier concentre donc l’espoir des manifestants et les angoisses des policiers, qui craignent d’être condamnés pour l’exemple.
Et cette première journée du procès s’est ouverte dans un climat tendu à Baltimore, où les élus redoutent un regain de violences. La ville est quadrillée par les forces de l'ordre, les commerces sont fermés, et des policiers ont été déployés devant tous les bâtiments publics et les hôtels. « Le précédent historique que tout le monde a en tête, c’est le cas de Rodney King, en 1992 à Los Angeles », souligne Françoise Coste, du laboratoire Études du monde anglophone de l’université de Toulouse.
« Il y a eu un procès, et les policiers ont tous été acquittés. Cela a provoqué les grandes émeutes de Los Angeles de 1992, qui ont été très violentes et lors desquelles il y a eu plusieurs morts, et beaucoup de dégâts », rappelle Françoise Coste, qui juge que cela risque de peser sur le déroulement du procès. « Depuis ce précédent, on craint les violences si l’on fait un procès et que le jury acquitte les policiers. Et comme il y en a déjà eu, à Baltimore au printemps dernier, la justice ne peut pas se faire de manière sereine. Les juges, les avocats, les jurés ont bien sûr fortement conscients du risque de nouvelles émeutes. Ça va empoisonner le pré-procès et le procès, quand il aura lieu. »