Haïti: l'heure de vérité pour Martelly et son nouveau gouvernement

Depuis lundi 19 janvier 2015, Haïti a un nouveau gouvernement. Ces 34 ministres et secrétaires d'Etat sont censés combler un dangereux vide politique et créer les conditions pour l'organisation d’élections d'ici la fin de l'année. L'équipe devait être un « gouvernement de consensus » ouvert aux membres de l'opposition. Telle était la promesse du président haïtien. Mais la composition du nouveau cabinet ministériel déçoit les adversaires de Michel Martelly.

De notre envoyée spéciale à Port-au-Prince

Le président Michel Martelly avait chargé son nouveau Premier ministre Evans Paul de la composition du nouveau gouvernement. Evans Paul, successeur de Laurent Lamothe - qui a dû démissionner en décembre dernier à cause de la crise politique -, est lui-même issu de l’opposition dite « modérée ». Mais ses ministres, surtout sur les postes-clés, sont tous des personnalités du gouvernement sortant. Ils sont donc favorables au chef de l’Etat.

Ainsi, les ministres des Affaires étrangères, de l'Education, de la Défense, du Tourisme, de la Santé et des Travaux publics conservent leurs portefeuilles. D'autres proches du président Martelly reprennent des ministères stratégiquement importants, tels que la Justice, l'Economie et la Planification. Dans cette configuration, la nouvelle équipe devrait poursuivre la politique tracée par le chef de l'Etat. Non seulement ce cabinet ministériel ne résout pas la crise politique en Haïti, mais elle est au contraire source de nouveaux problèmes, estime l'opposition.

Flou institutionnel

Le gouvernement d’Evans Paul arrive dans un contexte institutionnel particulièrement délicat. Depuis l'arrivée au pouvoir de Michel Martelly en 2011, aucune élection n'a eu lieu en Haïti. Le pays n’a plus de maires ni de représentants territoriaux. Ils ont été remplacés dès 2012 par des fonctionnaires choisis par le pouvoir exécutif. Le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ), tout comme la Cour de cassation - la plus haute instance du système judiciaire haïtien -, sont décapités.

Le Conseil électoral permanent, censé organiser les élections, n’existe actuellement plus. Et depuis le 12 janvier, Haïti n'a plus de Parlement. Du coup, la nomination du Premier ministre Evans Paul n'a pas été ratifiée par les élus (comme l’exige pourtant la Constitution), ce qui porte un coup sérieux à sa légitimité constitutionnelle, mais aussi à celle de l'ensemble de son gouvernement. Hormis dix sénateurs, dont les mandats ne sont pas encore arrivés à terme, le chef de l'Etat est désormais seul au pouvoir.

« Nous sommes là face à un régime présidentiel de fait, constate Marcel Dorigny, historien et spécialiste d'Haïti à l'Université Paris VIII. Michel Martelly gouverne seul, probablement par décrets. Des décrets qui devront un jour ou l'autre être ratifiés par le Parlement. Mais on ne voit pas bien à quelle échéance, puisqu'il n'y a aucun calendrier. » En effet, aucune date pour de futures élections n'a pour l'instant été évoquée.

L’ingérence américaine dénoncée par la rue

Pourtant, Michel Martelly bénéficie d'un soutien appuyé des Etats-Unis. Deux communiqués officiels ont volé à la rescousse du président très critiqué par l'opposition. Sans y avoir été invitée, l'ambassadrice des Etats-Unis à Port-au-Prince, Pamela White, avait même fait une apparition-surprise au sein du Parlement haïtien lors de sa dernière session extraordinaire avant sa dissolution.

Mais l'appui des Américains pourrait aussi se retourner contre Michel Martelly. Ainsi, l’historien Christophe Wargny, un ancien conseiller sous la présidence de Jean-Bertrand Aristide, estime que - certes - le chef de l’Etat haïtien « bénéficie du soutien de Washington, mais en même temps il se heurte à deux oppositions : l'une parlementaire qui a déjà défilé dans la rue, et l'autre peut-être plus typiquement haïtienne. Une espèce de ras-le-bol qui peut dégénérer sur ce que l'on appelle des émotions populaires. »

En effet, l'influence grandissante des Etats-Unis dans les affaires politiques haïtiennes suscite la colère d'une partie de la population. Surtout en cette année 2015, durant laquelle Haïti s'apprête à commémorer le 100e anniversaire du début de l'occupation américaine, qui a duré 19 ans et qui reste une plaie ouverte dans la conscience collective haïtienne. S'ajoute à cela une situation économique qui ne s'est guère améliorée depuis l'arrivée au pouvoir du président Martelly. Un mélange explosif qui pousse depuis des mois des milliers d'opposants dans les rues pour réclamer la démission pure et simple de leur chef de l'Etat, et ceci avant la fin de son mandat.

« Le président doit partir », réclame l’opposition radicale

« Oui, le mandat d'un président est de cinq ans. Mais c'est le peuple qui lui donne ce mandat pour que le président travaille pour les citoyens », rappelle Nelson Gusman, jeune habitant de Port-au-Prince très en colère. Et d'ajouter : « S'il ne travaille que pour lui ou pour les étrangers, alors que nous, nous avons faim, que le chômage nous pèse et que nos enfants ne peuvent pas aller à l'école, que se passe-t-il ? On vous le jure : on peut mourir, pas de problème ! Mais il va partir quand même ! »

Après les discours conciliants des derniers jours, le président va maintenant devoir prouver qu’il est prêt à transformer ses paroles en actes. De son côté, l’opposition radicale a appelé à de nouvelles manifestations à travers Haïti tout au long de cette semaine. La prochaine devait se tenir ce mardi même à Port-au-Prince.

Partager :