Avec notre correspondante à Washington, Anne-Marie Capomaccio
La CIA n’a pas dit la vérité à la Maison Blanche, non seulement au moment où les pratiques étaient en cours dans les prisons secrètes, mais aussi pendant l’enquête du Sénat. La sénatrice Feinstein, présidente de la commission du Renseignement, qui a dévoilé ce rapport (en anglais), a donné des détails et des dates. Elle a longuement expliqué l’obstruction de l’Agence qui a tout fait pour empêcher la publication de cet audit. Le président Bush n’a pas été mis au courant de tout ce qui s’est passé, a déclaré l’élue de Californie. Sur ce point, elle est formelle.
« Les interrogatoires de la CIA étaient bien pires que ce qu'elle a reconnu », précise le rapport du Sénat. Ce document révèle et détaille les pratiques employées dans les prisons secrètes de l'agence : des simulacres de noyade ou d’exécution, des emprisonnements dans le froid sans pouvoir bouger... Les agents qui ont pratiqué ces tortures ne sont pas cités. Les pays non plus. Mais la Pologne, la Roumanie ou encore la Thaïlande sont soupçonnées d’avoir abrité ces centres de détention très particuliers. Le rapport détaille 19 cas précis, notamment celui de Khalid Sheikh Mohammed, soupçonné d’appartenir à la haute hiérarchie d’al-Qaïda, et qui d’après un ancien agent du FBI, aurait été soumis 183 fois à des simulacres de noyade.
Des tortures inutiles
La polémique sur la diffusion de ce rapport alimente tous les commentaires à Washington, notamment la question des renseignements obtenus par la torture. D’après cet audit, non seulement ces pratiques n’ont pas conduit à la capture d’Oussama ben Laden, mais elles auraient mis l’agence sur de fausses pistes. « Même si l’on écarte les considérations morales, ces pratiques dégradantes ont été inutiles, a affirmé Dianne Feinstein. Elles n’ont fait que salir la réputation des États-Unis. Notre pays doit faire face à ses responsabilités afin que cela ne se reproduise jamais ». La thèse de ces méthodes inutiles n’est pas admise par les responsables de l’agence à l’époque, et par les anciens responsables politiques, comme George Bush ou Dick Cheney.
La présidente de la commission du Renseignement du Sénat américain a ainsi exposé le travail de son équipe pendant plus d’une heure, expliquant en préambule les affres dans lesquelles la décision de publier ce rapport l’avait plongée. Elle a tenu à rendre hommage aux agents de la CIA, qui, pour la plupart, ont consacré leur vie à la sécurité des citoyens américains. Des agents qui se sont élevés contre ces pratiques – les preuves existent. Mais ces lanceurs d’alerte, nombreux, ont été contredits par une cinquantaine de responsables à Washington. L’agence aura du mal à se remettre de la publication de cet audit que chacun peut consulter aujourd’hui.
La sénatrice ne rejette pas par ailleurs les risques d’attentat qu’entraîne éventuellement cette publication. La sécurité a été renforcée autour des ambassades et bases américaines à l’étranger.