En 2005 puis en 2010, l’Argentine avait trouvé un accord avec la majorité de ses créanciers pour ne pas payer complètement sa dette. Mais deux fonds spéculatifs américains avaient poursuivi en justice le gouvernement argentin, dans l'espoir de se faire rembourser intégralement. Récemment, le juge new-yorkais Thomas Griesa leur a donné raison. Le gouvernement argentin a fait appel, sans succès. La date fatidique du mercredi 30 juillet est passée sans qu’aucun accord n’ait pu être trouvé. Le juge américain a cependant prévu un ultime recours, en convoquant les différentes parties pour une nouvelle audience, ce vendredi.
Selon Marcos Leonetti, économiste et directeur de La Economia Online, l'Argentine manque de liquidités : « Pour payer cette dette, aujourd'hui, on devrait sortir du liquide... Au moins 25 milliards de dollars. Le problème c'est que l'Argentine n'a pas tout cet argent disponible, en cash. Le montant de la dette est presque équivalent aux réserves de la banque centrale argentine... »
L'Argentine peut payer ces deux fonds spéculatifs mais pas ses autres créanciers. La crainte du gouvernement argentin, c'est que l’échec des négociations avec ces deux fonds remettent en cause le contrat signé avec ses autres prêteurs dit coopératifs, car ils avaient revu à la baisse le montant de leurs créances en 2005 et en 2010. Ces derniers pourraient se retourner contre l'Argentine parce qu'ils se sentent trahis. Leurs plaintes pourraient atteindre des centaines de milliards de dollars. Or, ses réserves de changes, qui ont fortement chuté ces derniers mois, ne sont que de 28 milliards de dollars…
Solidarité régionale
Maintenant que l’Argentine est en situation de défaut de paiement, les fonds « vautours » ne pourront pas se faire rembourser intégralement, comme ils l'espèrent. Ils sont donc aussi perdants, selon Carlos Quenan, économiste et vice-président de l'Institut des Amériques, qui expliquait, quelques heures avant l’échéance de mercredi, à minuit : « Le juge à New York et les fonds non-coopératifs, détenteurs de ces bons non restructurés, n'ont pas intérêt à ce que l'Argentine dise : " je ne paie pas ". Car le but de ces fonds est de récupérer de l'argent, le plus possible. Ce n'est pas un jeu pour que l'Argentine tombe en défaut. »
L’Argentine est aussi menacée d’une crise économique, qui inquiète ses voisins. Après une décennie de forte croissance, le pays est entré en récession. Son déficit s’est creusé. Son industrie ralentit depuis 10 ans. L'Argentine est donc au centre des préoccupations des pays d'Amérique du Sud, réunis depuis mardi 29 juillet au Venezuela pour un sommet du Mercosur. Les dirigeants vénézuélien, uruguayen ou encore brésilien répètent depuis un mois qu'ils ne laisseront pas tomber leur cousin argentin. Pourquoi cette solidarité régionale ? La réponse avec Georges Ugeux, PDG d'une banque d'affaires à New York. « Dans la région, il y a une méfiance parce que l'Argentine est un très grand pays (troisième économie d'Amérique latine, ndlr), qui a d'énormes connexions avec le reste du monde. En outre, la devise argentine ne se porte pas bien. Il y a des éléments de concurrence qui jouent. Le premier effet d'un défaut sera donc au niveau commercial et industriel. Les premiers touchés seront les pays d'Amérique du Sud ».
L'avenir de Cristina Kirchner se joue aussi à New York
Le gouvernement de centre gauche présente le contentieux comme un face-à-face entre la nation et les fonds « vautours ». L'opposition le soutient, mais avec des réserves. Selon Laura Montero, sénatrice social-démocrate de l'opposition, le gouvernement est en partie responsable de cette situation : « Le gouvernement argentin aurait dû régler ce problème, après la deuxième restructuration réussie en 2010. Les conditions auraient été plus avantageuses. Malheureusement, il ne l'a pas fait à ce moment-là. Il se retrouve aujourd'hui avec un jugement de la Cour suprême américaine qui remet en cause la position argentine. Donc cela complique un peu la situation pour l'Argentine. Ce qui c'est est sûr, c'est qu'on aurait dû établir un contrat de renégociation bien avant. »
Cette défaite face aux fonds spéculatifs remet en cause la politique économique de Cristina Kirchner, qui divise le pays. Les milieux d'affaires sont irrités par les nationalisations ou encore la taxation des exportations. Le pouvoir d’achat des Argentins est miné par la flambée des prix alors que le chômage progresse. La présidente argentine n'est plus aussi populaire qu'à son arrivée au pouvoir en 2007. Il n'y a donc pas que l'avenir du pays qui se joue dans ce bras de fer juridique, il y a aussi celui de Cristina Kirchner.