Présidentielle en Colombie: la paix toujours au centre des débats

Les Colombiens s'apprêtent à se rendre aux urnes ce dimanche pour élire leur président pour les quatre prochaines années. Dans ce pays de 47 millions d'habitants en proie à un conflit armé depuis 60 ans, cinq candidats sont en lice, dont le président sortant Juan Manuel Santos, qui a fait du processus de paix  avec la guérilla des Farc, en cours à La Havane, le fer de lance de sa campagne.

Parmi les candidats, le président Juan Manuel Santos se présente pour un second mandat, comme le lui permet la Constitution. Il a fait du processus de paix, initié en novembre 2012, son cheval de bataille, et a récemment déclaré : « Mon premier mandat était celui de la guerre », pour affaiblir la guérilla et l'obliger à courber l'échine, « mon second mandat sera celui de la paix, et je veux y parvenir le plus vite possible ».

Son principal rival, Oscar Ivan Zuluaga, du Centre démocratique, qui est subitement remonté dans les sondages, se situe plus à droite sur l’échiquier politique. Ce conservateur est un fervent partisan de l’ancien président Alvaro Uribe (2002-2010) et de la manière forte vis-à-vis de la guérilla des Farc. Selon lui, le seul moyen de négocier un accord de paix durable est d’obtenir au préalable une cessation immédiate de leurs actions violentes, car « ce sont des criminels » dit-il. Les Farc quant à elles, ont décrété une trêve unilatérale du 20 au 28 mai, pendant les élections.

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Ces deux candidats se livrent depuis un mois un combat sans merci, Santos accusant Zuluaga d'espionnage à l’encontre des négociateurs du processus de paix à La Havane, et le traitant de « marionnette d’Uribe », et Zuluaga prêtant à Santos des délits de corruption et l’accusant de mensonge. Des accusations dont il a été question lors du débat présidentiel jeudi soir sur la chaîne RCN.

Trois candidats distanciés dans les intentions de vote

Au centre, l'ancien maire de Bogotá, Enrique Peñalosa de l'Alliance des Verts, est populaire dans la capitale où il a mené des politiques d’urbanisme et des aménagements d’infrastructures importants. Mais Peñalosa est peu connu dans le reste du pays. Il prône la défense de l’environnement dans toutes les politiques de développement du pays, y compris dans l’exploitation minière et l’agriculture.

Et puis, deux femmes : Marta Lucía Ramirez du Parti conservateur, de droite, ancienne ministre de l’Economie du gouvernement d’Andrés Pastrana (1998-2002) qui avait lui aussi entamé des négociations de paix avec les Farc, restées vaines. Selon Marta Lucía Ramirez, la paix ne sert à rien s'il n'y a pas de justice et que l'impunité suit son cours. Il faut aussi « réindustrialiser le pays », dit-elle et miser sur l’éducation, la santé et le développement des infrastructures.

Clara Lopez se présente pour le Pôle démocratique et l’Union patriotique, le parti de gauche, l’Union Patriotique, un parti dont de très nombreux représentants et élus ont été tués au cours des années 1980 et 1990. Très critique des politiques néolibérales menées dans le pays au cours des dernières années, elle souhaiterait renégocier les accords de libre-échange avec les Etats-Unis signés par Santos, qui selon elle fragilisent l’économie du pays. Partisane d’un dialogue de paix négocié, elle reproche au président-candidat Juan Manuel Santos d’« utiliser le processus de paix comme plateforme électorale ».

Large tendance à droite

Tous les candidats, hormis Oscar Ivan Zuluaga, sont en faveur de la poursuite du processus de paix et des négociations en cours avec la guérilla. Mais la tendance générale est assez marquée à droite, comme le fait remarquer Frédéric Massé, directeur du Centre de recherches et projets spéciaux de l'université externado de Colombie. « Aux dernières élections en mars 2014 au Sénat, la gauche a obtenu moins de 20 % des voix, et ceci en incluant le parti libéral qui n’est pas forcément de gauche. Donc, c’est vrai qu’on est dans un climat très à droite, entre un président néolibéral qui se présente comme étant de centre-gauche, mais dont on peut dire qu’il est plutôt de centre-droit, et un autre candidat, Zuluaga, qui représente la droite conservatrice traditionnelle ».

Fin de campagne agressive entre les deux favoris

Les deux favoris sont pourtant deux anciens compagnons du parti de la U, le parti néolibéral créé en 2005 par l'ancien président Alvaro Uribe. L'un, Juan Manuel Santos, a été son ministre de la Défense, mais a pris ses distances depuis son élection en 2010. L'autre, Oscar Ivan Zuluaga, qui fut son ministre des Finances, est resté fidèle à Alvaro Uribe. Santos et Zuluaga mettent en avant des ancrages opposés, comme l'explique l'analyste politique Pedro Medellin, éditorialiste à Semana : « Les partisans d'Uribe ont deux caractéristiques particulières : ils prônent un modèle de développement basé sur la propriété foncière, alors que Santos prône un modèle plus basé sur la productivité industrielle et un développement productif, analyse-t-il. Et puis concernant les FARC, le modèle "uribiste" est celui de l'affrontement armé, et la fin du conflit par la guerre, alors que Santos cherche à obtenir la paix par le biais des négociations. Ce sont deux approches qui se sont opposées jusqu'à atteindre une polarisation extrême, des accusations, des mises en cause, des attaques...Tout ceci marque désormais une différence profonde entre deux hommes qui étaient amis et qui sont devenus rivaux ».

Les attentes des Colombiens

Les électeurs veulent des réponses concrètes à leurs problèmes quotidiens, comme la lutte contre chômage (dans un pays où l’économie informelle représente encore plus de 60 % des emplois), la lutte contre l’insécurité et les bandes armées, la corruption et l’impunité, l’accès à la santé, à l’éducation et pas uniquement sur le processus de paix que promet Juan Manuel Santos. « Beaucoup de Colombiens lui reprochent de ne s’être focalisé que sur le processus de paix, souligne Frédéric Massé. Lorsqu’on se penche sur les enquêtes d’opinion, poursuit-il, parmi les préoccupations des Colombiens, le thème de la paix n’arrive qu’en quatrième, cinquième voire sixième position, derrière le thème du chômage, de l’insécurité, de l’éducation ou de la santé ».

Des électeurs indécis

La « sale » campagne que se livrent les deux principaux rivaux, Juan Manuel Santos et le partisan d’Alvaro Uribe, Oscar Iván Zuluaga, a révélé deux tendances pour le scrutin de ce premier tour, selon l’analyste politique Pedro Medellín : « D'un côté ceux qui savent déjà pour qui voter, et qui doivent se mouvoir dans ces tensions entre les candidats. Mais il y a aussi une grande partie des Colombiens qui ne sait pas encore pour qui voter, ou qui a décidé de voter blanc parce qu'entre autres ils sont opposés à ce climat de tension, de polarisation. Ces indécis et le vote blanc révèlent aussi un rejet de ce système politique ».

Les sondages placent Juan Manuel Santos et Oscar Iván Zuluaga au coude-à-coude, en tête du premier tour, et misent sur un second tour le 15 juin prochain, mais les résultats dimanche soir pourraient aussi révéler des surprises. Un dernier débat entre les cinq candidats est prévu sur la chaîne Caracol ce vendredi soir. L'occasion pour les électeurs hésitants de faire leur choix.

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