RFI: Les conditions ne sont pas réunies, explique le communiqué brésilien. Qu’attendaient les autorités du Brésil qu’elles n’ont pas obtenu de Washington ?
Laurent Vidal : Les autorités attendaient des explications beaucoup plus claires sur les enjeux de ces écoutes. Il est sûr que les écoutes, cela fait partie de la diplomatie et des enjeux diplomatiques. Mais au-delà même des explications, il y a un enjeu pour le Brésil de positionnement sur la scène internationale. C’est le premier pays à réagir finalement alors que d’autres ont été espionnés, dont la France par exemple. C’est le premier à réagir et à se positionner en disant on ne peut pas laisser passer une telle pratique, surtout entre des pays alliés.
Surtout qu’on a senti une forme de gêne vis-à-vis des Américains, l’embarras toujours présent même si les Etats-Unis se sont engagés à réviser certaines pratiques ?
Exactement. Il se trouve aussi que côté brésilien, le contexte peut favoriser cette position, qui n’est pas aussi intransigeante qu’elle l’était, puisque dans un premier temps, il s’agissait d’annuler purement et simplement. Là, aujourd’hui, il s’agit de reporter. Il y a eu un entretien entre Dilma Rousseff et Barack Obama lundi soir, un entretien téléphonique. Donc le dialogue n’est absolument pas rompu, au contraire.
Il y avait eu aussi les entretiens lors du G20 ?
Voilà, les entretiens au cours du G20. Il s’agit simplement de manifester un mécontentement et, de fait, on voit côté américain une gêne. On a du mal à expliquer ce qui se passe. Au-delà de Dilma Rousseff, c’est aussi l’espionnage de la Petrobras, qui est la grande compagnie pétrolière brésilienne. Tout de suite, cela touche à la souveraineté du Brésil, donc on a la souveraineté par la présidente, qui est écoutée - ses textos, son téléphone personnel -, plus la Petrobras qui est également écoutée. Donc, là, il y a une atteinte à la souveraineté et les Brésiliens n’ont pas voulu laisser passer cela.
Est-ce qu’il faut aussi l’interpréter comme un geste, justement cette fermeté de la part de la présidente, un geste envers la population brésilienne après le mouvement social du mois de juin dernier ?
Ca, c’est un autre élément. N’oublions pas que le Brésil va connaître dans un an exactement des élections présidentielles. Et l’un des reproches que les manifestants ont faits au gouvernement brésilien entre autres dans les manifestations de juin, c’était de dire « Le Brésil, avec la Coupe du monde et les Jeux olympiques, doit obéir à des diktats qui viennent de la Fifa ou du Comité international olympique », donc des diktats qui viennent de l’extérieur.
Là, cette réaction montre que le Brésil s’affirme et affirme sa souveraineté, son indépendance. Il y a là comme une réponse. Puis un élément plus électoraliste, mais qui peut compter pour une partie, pas très importante. L’anti-américanisme peut arriver à ressouder un parti des travailleurs qui a quand même du mal à se mettre en ordre de bataille pour les élections, tant il est miné par la corruption, par les affaires, etc…
Il y a donc cet impact politique. Il y a indéniablement aussi un impact économique. Vous citiez le nom de la grande compagnie pétrolière avec les concessions qui sont en ce moment attribuées, des concessions pétrolières dans l’Atlantique. Il y a aussi un marché de l’aéronautique qui est très important ?
Evidemment, il y a tout cela. Pour revenir sur la Petrobras : l’enjeu directement de ces écoutes, c’était des écoutes relatives à connaître la position du Brésil vis-à-vis à la fois d’Edward Snowden, mais aussi à la situation dans les pays arabes. Or, le Brésil est dans un processus pour entrer dans les pays membres de l’Opep. Et le Brésil a une diplomatie propre avec les pays arabes. Il a même mis en place au niveau de l’Amérique du Sud une diplomatie entre Amérique du Sud et pays arabes.
Donc il y a véritablement une sorte de manifestation de violation, un sentiment de violation de ce droit souverain à entretenir des relations directes. C’est comme si les Etats-Unis repartaient dans une chasse gardée : l’Amérique latine, c’est la chasse gardée des Etats-Unis, et personne d’autre ne peut intervenir.
L’aéronautique est un autre enjeu du débat puisque le Brésil doit moderniser sa flotte, notamment d’avions de chasse. Concurrence entre les Américains d’un côté, entre les Français avec Dassault de l’autre. Et là tout ce qu’on peut dire, c’est que pour l’instant les Brésiliens tergiversent. Après avoir dit que c’était fait avec Dassault, ils se sont rétractés. Les Américains croyaient que c’était fait avec eux. Très clairement, le Brésil cherche à tirer les avantages de ce bras de fer pour obtenir - pourquoi pas - quelques concessions.
La sortie de crise : est-ce que ça pourrait se passer justement à la tribune de l’ONU ? Le Brésil a fait savoir qu’il comptait bien intervenir sur cette question ?
Exactement. Je ne sais pas si ça peut se passer. Dilma Rousseff a annoncé que son intervention porterait sur l’espionnage. Après tout, elle a tout à fait raison d’apporter ce thème sur la place publique des Nations unies, puisqu’aujourd’hui nous ne sommes plus dans le contexte du rideau de fer de l’époque où, véritablement, les Nations unies ont vu le jour.
Aujourd’hui, il y a d’autres stratégies, d’autres enjeux et l’espionnage fait partie, grâce aux nouvelles technologies, des éléments importants. Que va-t-il sortir de là ? Je ne sais pas. Mais de toute façon, je ne crois pas qu’on puisse parler de crise. N’oublions pas non plus que le fait justement d’avoir reporté et non pas annulé signifie qu’il n’y a pas crise.