Montréal : les raisons de la corruption

« Ce soir, j’ai choisi de m’habiller en blanc pour montrer que ce n’est pas tout le monde qui est concerné par la corruption. » La remarque de la conseillère municipale du Sud-Ouest de Montréal tombe un peu à plat devant l’auditoire un brin sceptique des citoyens, venus l’écouter parler du programme de son parti aux prochaines élections municipales de novembre. À Montréal, les révélations se succèdent à propos de fonctionnaires et d’élus ripoux.

Même l’ex- maire Applebaum s’est fait appréhender la semaine dernière par l’Unité permanente anti-corruption. Lui qui succédait au maire démissionnaire Gérard Tremblay, soupçonné d’avoir toléré la corruption au sein de la municipalité, a dû quitter ses fonctions. Alors même qu’il se présentait comme celui qui allait débarrasser la métropole de ce fléau. Les Montréalais se demandent bien à qui ils peuvent se fier désormais.

La corruption et les alliances incestueuses entre élus complaisants, et entrepreneurs et ingénieurs malhonnêtes étaient déjà une réalité dans les années 60. Le Québec, alors, se modernisait à grand coup de stades, de tours, et d’équipement publics. Le creux de vague des années 80 avait calmé les ardeurs des uns et des autres. Sauf que depuis quelques années, la fièvre immobilière s’empare à nouveau de la région, et les quelques terrains encore disponibles sur l’île de Montréal excitent la convoitise. Les élus municipaux subissent alors beaucoup de pression des entrepreneurs pour modifier les règles d’urbanisme, et certains cèdent à la tentation.

Contrats municipaux

Autre raison possible de cette flambée de la corruption, l’ampleur des contrats municipaux en jeu. « À Montréal beaucoup d’infrastructures sont vieillissantes, que ce soit les conduites d’eau, les égouts, les rues à refaire, analyse Denise Pilette, spécialiste en finances municipales à l’Université de Québec à Montréal. Depuis 2005, les gouvernements ont beaucoup investi dans ces réfections, ce qui du coup attire beaucoup de requins. »

Depuis quelques mois, les Montréalais ont ainsi appris que de grands cabinets d’ingénieurs se liguaient depuis des années pour écarter la concurrence et pratiquer des tarifs supérieurs de 30% à ceux en vigueur dans les autres provinces canadiennes. Même comportement des fournisseurs en travaux publics qui profitaient de cette manne municipale pour s’enrichir sur le dos des citoyens.

Mécanismes de surveillance émoussés

Comment expliquer que l’impunité ait pu durer aussi longtemps ? La professeure pointe du doigt la structure très décentralisée des services municipaux au Québec. Une multitude d’entreprises peut fournir des services directement aux municipalités, facilitant la corruption possible. Surtout que dans le même temps, les mécanismes de surveillance se sont émoussés. Dans un Québec et un Canada de plus en plus néolibéral, la mode est au rapprochement public-privé, avec moins de comptes à rendre à la population. Une tendance encore renforcée dans une province comme le Québec caractérisée par la très grande proximité entre les élus et les dirigeants d’entreprises.

Longtemps assujettis aux anglophones qui dominaient l’économie, les Québécois ont voulu se libérer de cette tutelle dans les années 60, un peu à l’image des peuples colonisés. Ils ont donc développé une élite francophone, dont les acteurs économiques, politiques et même syndicaux grandissaient ensemble pour doter le Québec d’une classe de dirigeants francophones. Ces relations quasi incestueuses expliqueraient, selon Yves Boisvert, professeur d’éthique et de gouvernance à l’École nationale d’administration publique, que la corruption ait pu autant gangréner l’administration publique.

« Tout le scandale a commencé autour de l’immense bateau de luxe de celui qui récoltait le plus de contrats de la municipalité de Montréal. Un bateau qui accueillait l’élite économique, syndicale et politique du Québec, explique le professeur. Il s’agissait d’une fusion d’amitié intense entre ces 300 personnes, plus de relations économiques. » Opérer un virage à 180 degrés et éradiquer la corruption si bien installée dans les mœurs va prendre du temps, prédit-il. L’exercice cependant s’avère indispensable pour assainir le climat politique au Québec et redonner confiance aux citoyens en leurs institutions.

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