L'or noir a fait la fortune du Venezuela mais pourrait aussi, paradoxalement, contribuer à sa perte puisque l'économie du pays est dépendante, de fait, des cours du pétrole. « La seule part de l’économie vénézuélienne qui s’est développée est le secteur pétrolier. Pendant des années, le Venezuela a voulu diversifier sa production. Mais cela a été difficile, car lorsque l’on a un produit très cher en quantité énorme, les autres secteurs de production restent marginaux. C’est le problème principal : le pays n’a donc pas développé autre chose que le pétrole », explique José Duqué, ingénieur et professeur à Caracas.
Le Venezuela importe plus de 60% de ce qu'il consomme
Pas de diversification, une production au ralenti, et des besoins non satisfaits. Du coup le Venezuela, aussi riche soit-il en pétrole, se retrouve obligé d'importer plus de 60% de ce que le pays consomme, y compris sur le plan énergétique. C'est un cas de figure identifié, explique Pierre Salama, professeur à l'université Paris 13 et spécialiste de l'Amérique latine. Il s'agit du syndrome hollandais : « Lorsque vous exportez les matières premières et que le prix augmente (...), explique-t-il. Sur les dix dernières années, le Venezuela a produit de moins de moins de produits manufacturés et de produits alimentaires, et donc a importé de plus en plus. On a donc une désertification du tissu industriel, conséquence de la part croissante du pétrole dans l’activité économique ».
Autre paradoxe : le Venezuela n'a pas développé ses installations de raffinage et se retrouve de fait obligé d'exporter son pétrole, vers les Etats-Unis notamment, pour qu'il y soit raffiné. Caracas le rachète ensuite sous forme d'essence. L'opération est ruineuse dans la mesure où l'essence au Venezuela est pratiquement redistribué gratuitement aux habitants. José Duqué nous donne un exemple très concret : « Un demi-litre d’eau revient plus cher qu’un plein d’essence pour une voiture. »
Diversifier l'économie, une priorité
Il y a un vrai problème de redistribution de l'argent du pétrole, et des choix faits en la matière. Pour l'économiste vénézuelien Maxime Ross, la priorité, c'est de diversifier l'économie, de relancer la production pour éviter une crise majeure en cas de baisse des cours du baril de pétrole. Des pans entiers de l'économie sont sinistrés : « Il faut injecter les devises dans l'économie. Les secteurs les plus demandeurs sont l'industrie de l'alimentaire, le secteur pharmaceutique, les sous-traitants (du secteur) automobile, le marché des matières premières pour l'industrie et le marché des capitaux. 97% des devises dont dispose le pays proviennent de l'industrie pétrolière, comme dans les années 70. Depuis, nous n'avons pas réussi à diversifier notre économie. Si un jour les prix du pétrole s'écroulent, le Venezuela sera confronté à une grave crise économique ».
L'autre priorité, en matière de production, serait de renforcer le secteur privé qui soutient majoritairement Henrique Capriles, souligne Pierre Salama. « Il y a un problème, une grande partie du secteur de l’entrepreneuriat n’a pas voté pour Nicolas Maduro. Il peut donc y avoir des grèves. C’est un peu le paradoxe. Dans ce pays où l’on parle beaucoup de socialisme, en fait, les entreprises du secteur privé sont restées fondamentalement privées, pour la plupart d’entre elles. Il y a donc une difficulté à résoudre. Comment acquérir la confiance de ce secteur sans lequel on ne peut pas faire grand-chose ? »
Des acquis en matière de santé et d'éducation malgré la corruption
Hugo Chavez, élu président en 1999, avait pensé toute l'économie du Venezuela sur le modèle de la révolution bolivarienne. Il a initié une profonde transformation sociale et politique du pays avec pour souci premier, la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Les programmes sociaux mis en place ont favorisé le progrès, sans donner au pays des bases solides pour l'avenir, indépendamment du pétrole, précise Pierre Salama. « Les politiques sociales ont été extrêmement importantes, notamment en matière de santé et d’éducation. C’est un pari sur l’avenir, car dans une certaine mesure, si un pauvre a une meilleure santé et une meilleure éducation, il aura plus de chances pour s’en sortir. C’est à mettre à l’actif de Chavez, mais cela a été fait dans de telles conditions d’obscurité et d’opacité et à avec un tel niveau de corruption, que cela risque d’être mis en cause. Ce pays a investi sur l’immédiat pour améliorer, mais n’a pas cherché à constituer une banque d’investissements dans des secteurs dit prioritaires qui permettraient de résister, quand le cours du pétrole baissera. »
Au Venezuela aujourd'hui 23,8% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, contre 91% au Nigeria autre pays dont l'économie s'appuie sur le pétrole.
→ Pour en savoir plus, le livre de Pierre Salama, Les économies émergentes latino-américaines: entre cigales et fourmis, publié chez Armand Colin.