Avec notre correspondant à New York, Karim Lebhour
Des rues jonchées de débris, des façades éventrées et des milliers de foyers toujours sans électricité, sans chauffage et sans eau courante. Près de quinze jours après l’ouragan, les habitants des Rockaways (Queens) peinent encore à se remettre du passage de Sandy. La péninsule de Rockaway – une langue de terre au sud de Brooklyn, réputée pour ses plages de sable – a été complètement submergée par les eaux. La force du courant a soulevé la promenade du front de mer et plié les barrières de métal. Une voiture gît dans une rue adjacente, écrasée comme un simple jouet. Le feu, attisé par les vents, s’est ajouté aux inondations et a emporté une centaine d’habitations dans le quartier de Breezy Point.
« J’ai vraiment cru qu’on allait mourir », témoigne Kenny Pena. « L’eau est montée jusqu’au premier étage de la maison. Ça puait le gasoil. Je me suis dit : soit la maison brûle, soit on va se noyer. » Les autorités new-yorkaises avaient pourtant ordonné l’évacuation de tous les habitants de la zone. « J’ai été stupide ! » reconnaît-il. « Jamais plus, je ne ferai prendre ce risque à ma famille. »
Ville fantôme
Le retour à la normale se fait attendre. Les ouvriers des compagnies d’électricité progressent lentement. Le réseau souterrain a parfois été complètement détruit. Certains habitants ne retrouveront pas le courant avant la fin novembre. En attendant, faute d’électricité, les commerces sont fermés et Rockaway, à quelques kilomètres de Manhattan, ressemble à une ville fantôme. Le métro ne fonctionne toujours pas dans cette partie de la ville. Difficile pour ceux qui ont perdu leur véhicule d’aller s’approvisionner ailleurs.
Pour les aider, Kenny a improvisé une distribution d’aide : de la nourriture et des produits de première nécessité obtenus grâce à une donation organisée sur Facebook. « Nous n’avons pas le temps de nous coltiner la paperasse officielle pour obtenir quelque chose. C’est une aide dont les gens ont besoin tout de suite », explique-t-il. Les militaires de la garde nationale organisent eux aussi des distributions d’eau et de couverture. L’agence fédérale pour les secours d’urgence (FEMA) est présente également, mais elle peine à répondre aux besoins des sinistrés. Un agent de la FEMA, qui prend des photos des dégâts, confie avoir enlevé son uniforme pour travailler tranquillement. « S’ils me voient en uniforme, les gens sont constamment sur moi », explique-t-il.
Et pour cause. Les sinistrés de Rockaway sont en colère. Si, à Manhattan, l’électricité est revenue en quelques jours, Stephanie, une mère de quatre enfants, continue de se chauffer en faisant bouillir de l’eau sur la gazinière et dit avoir l’impression de vivre « dans un pays du tiers-monde ».
« C’est comme si nous étions sur une planète différente. Parce que les gens ici sont plus pauvres et payent moins d’impôts qu’à Manhattan, je crois qu’à la mairie ils se sont dit : on s’occupera d’eux plus tard. » Les nuits se passent à la lumière des bougies et des lampes électriques.
Solidarité de quartier
La plus grande partie de l’aide d’urgence, ce sont des associations caritatives, des églises, des centres communautaires et des volontaires qui la fournissent. « Les gens ont très froid et ils sont las de cette situation qui s’éternise », s’indigne Cynthia Cummings qui organise des distributions de vêtements chauds devant l’école dont elle est la directrice. « Je n’ai jamais vu une telle catastrophe naturelle. C’est vraiment le Katrina de la côte est ».
La situation est encore plus difficile pour les personnes âgées piégées dans des tours de plus de vingt étages, sans ascenseur. Des groupes de volontaires se sont spontanément formés pour monter dans les étages et apporter des vivres, de l’eau, des médicaments et un peu de réconfort. « Le mot a commencé à circuler sur Facebook que des personnes âgées étaient bloquées dans les étages sans électricité ni chauffage. J’ai décidé de faire quelque chose », explique Yana Feldman, une avocate de Brooklyn. Avec quelques amis, équipés de lampes de poche, ces volontaires grimpent dans les tours pour frapper aux portes des résidents, dont la plupart n’ont plus de téléphone pour appeler à l’aide. « Nous avons le cas d’un couple de 92 ans qui vivent au 22e étage sans chauffage, ni électricité. Ils ne peuvent pas descendre les escaliers et si on ne leur apporte pas des vivres, ils n’ont rien », dit Yana. « Ces gens sont complètement seuls. »