Roméo Langlois : J’ai vu mon frère et ma sœur, qui sont à Bogota depuis quelques jours. Je crois que je n’avais jamais été aussi content de les retrouver et je crois qu’eux non plus. Là, je suis à la résidence de l’ambassadeur. Mes amis, c’est extraordinaire, m’ont préparé une petite partie surprise. J’ai absolument tous mes amis, il n’en manque pas un ; ils sont ici avec moi, à mes côtés. Donc je suis extrêmement content, extrêmement heureux. C’est un grand moment pour moi.
RFI : Comment vous avez vécu cette période de captivité ? Est-ce que vous sentiez depuis le début que cela allait être relativement court ?
R.L. : Au tout début, oui. Pour moi c’était une formalité. J’en avais pour deux ou trois jours, ils allaient vérifier qui j’étais. Je n’avais pas du tout peur des FARC. Je savais que les FARC n’enlèvent pas de journalistes, encore moins de journaliste indépendant, étranger et encore moins un journaliste ayant réalisé beaucoup de reportages au sein de la guérilla, qui a interviewé les chefs de la guérilla, qui est en Colombie depuis dix ans et qui surtout pense avoir toujours traité de manière très objective, très neutre en tout cas, le conflit colombien. Donc je n’étais pas vraiment inquiet. Je n’avais pas peur des FARC. Quand j’étais sur le champ de bataille, quand j’ai été pris par les FARC, quand je suis allé vers les FARC, je savais que c’était la seule manière de rester en vie. Je pense que, eux, ils avaient un contrôle total du terrain. Donc à partir du moment où j’étais récupéré par les FARC, j’ai pu ressentir un grand sentiment de sécurité. Ils m’ont tout de suite sorti de la zone de combat. On a marché deux heures. Ensuite, ils ont commencé à me donner les premiers soins pour mon bras. Je n’étais vraiment pas inquiet. La seule inquiétude est que pendant le combat, j’avais perdu ma carte de presse. Donc dans l’immédiat, ils n’avaient pas mon identité. Ils pensaient que j’étais un militaire, un conseiller militaire américain ou israélien, ou anglais, comme il y en a certains qui parfois accompagnent les patrouilles colombiennes et surtout les forces spéciales. Mais je savais qu’il serait très facile pour moi de démontrer que j’étais bien un journaliste et prouver mon identité. Il leur suffisait d’un ou deux appels téléphoniques pour vérifier que j’étais bien journaliste. Donc je pensais que cela n’allait pas durer.
Très vite, j’ai cependant compris que j’allais devoir m’armer de patience. J’ai commencé à prendre connaissance des déclarations assez violentes à la télévision qui accusaient les FARC de m’avoir séquestré, de m’avoir enlevé tout de suite, alors que eux m’avaient dit très clairement, si tu es bien un journaliste, tu ne vas pas rester longtemps avec nous. Nous allons te remettre à la Croix-Rouge ou à l’Eglise, rapidement. Mais j’ai compris que la chose devenait un peu plus compliquée, que cela se politisait. J’ai eu le sentiment aussi que la proximité de l'élection présidentielle française ne jouait pas en ma faveur, que peut-être les FARC attendaient un nouveau gouvernement. Au début, ils voulaient me remettre très vite en liberté, mais je pense que par la suite, ils se sont sentis assez insultés par les déclarations notamment des politiques colombiens, par les déclarations qui venaient de l’Union européenne et des ONG internationales qui ont ordonné de me libérer tout de suite alors que sur le coup, je n’étais pas encore vraiment séquestré. Je crois que cela les a un peu énervés.
RFI : C’est dans ce sens que vous dénoncez un show de la part des FARC ?
R.L. : Oui, très rapidement, ils ont compris. D’abord ils se sont sentis un peu vexés. Ils se sont dits, alors « tout le monde veut faire de la politique ». C’est ce qu’aurait dit un membre du secrétariat général. « Tout le monde veut faire de la politique, alors on va faire de la politique ». Et là, ils ont pensé qu’il y avait un bon plan médiatique à faire. Il faut savoir que ces huit dernières années notamment, ils ont subi, ils ont encaissé des revers politiques et militaires sans précédent. On pense bien sûr à la spectaculaire libération d’Ingrid Betancourt, un coup de bluff monumental des forces armées colombiennes qui a blessé profondément l’orgueil des FARC. Pour eux, c’était peut-être l’occasion d’avoir un journaliste français et de faire un gros coup médiatique. Ce que veulent les FARC en fait, c’est de la publicité. C’est montrer que, contrairement à ce que dit la presse, ils sont encore là, ils sont dans la jungle. Ils sont prêts, ils combattent. Tous les jours, ils infligent des pertes aux forces gouvernementales. Ils veulent montrer qu’ils sont encore là alors que ce conflit cornélien est totalement oublié. Alors qu'il continue et s’aggrave même.