Michel Martelly, président haïtien à RFI: «Je me suis concentré sur les réalisations possibles et j’ai fait de mon mieux»

Michel Martelly, l'ancienne star de la chanson est président de Haïti depuis mai 2011. Alors, dans ce pays meurtri par le terrible séisme de janvier 2010, comment l'homme voit-il l'évolution de la situation ? Education, reconstruction, santé, politique, économie... Amélie Baron, correspondante de RFI à Port-au-Prince lui a demandé quel bilan il tirait de sa première année à la tête de l'Etat.

Michel Martelly: Pour moi tout s’est bien passé, j’ai beaucoup apprécié. J’ai beaucoup appris et j’ai aussi beaucoup fait ; aujourd’hui plusieurs millions d’enfants dans le pays vont à l’école. Est-ce qu’il y a des problèmes ? C’est certain. C’est la première fois qu’un million

d’enfants va à l’école gratuitement, donc nous avons des problèmes pour pouvoir identifier les professeurs et où ils se trouvent. Un ministère de l’Education qui n’avait pas cette  charge se trouve aujourd'hui devant le fait accompli. Il y a un retard dans le décaissement, dans le paiement. Donc, oui, il y a des problèmes mais aujourd’hui, plus d’un million d’enfants à l’école gratuitement, c’était mon vœu le plus cher. On avance à ce niveau.

RFI : Vous êtes arrivé au pouvoir il y a un an, vous n’aviez pas de majorité parlementaire. Cela a été compliqué au début de dialoguer avec le pouvoir législatif, il vous a fallu longtemps pour avoir un gouvernement à vos côtés. Comment réagissez-vous avec cette expérience douloureuse qu’a été le début de votre mandat avec le pouvoir législatif ?

MM : J’apprends, je continue d’apprendre et jusqu’à présent ce n’est pas facile. Jusqu’à aujourd’hui, au moment où je vous parle, nous avons ratifié mon Premier ministre avec son gouvernement aux trois-quarts. Il reste une dernière étape à passer pour recommencer avec un gouvernement légitime et continuer à travailler.

L’essentiel c’est que nous avons grandi, mûri, nous comprenons l’importance de cette remise à plat pour faire ensemble ce que nous avons promis à la population. Il ne s’agit pas d’être compliqué, d’aimer ou de ne pas aimer un parlementaire, d’aimer ou de ne pas aimer un président, il s’agit de se mettre ensemble pour apporter à la population ce que nous lui avons promis. Dans ce sens, je fais de mon mieux et je crois que malgré les problèmes de cette première année, le bilan reste positif, et c’est cela la chose la plus intéressante.

RFI : Vous avez à votre actif la mise en place et l’avancement du programme« 16-6 ». Il a permis l’évacuation de seize camps ainsi qu'une réhabilitation en six quartiers. Pourtant, nous constatons que beaucoup de constructions anarchiques continuent au nord de Port-au-Prince ou sur les Mornes. Quelles mesures pouvez-vous prendre pour lutter contre l’aggravation de l’urbanisation massive de Port-au-Prince ?

MM : Les institutions restent faibles. Quand j’ai nommé un président à la Cour de cassation c’était pour remettre sur pied cette justice. J’ai nommé tous les juges à la Cour de cassation ; c’est pour lui rendre son indépendance, lui permettre de devenir forte. Elle ne l'est pas encore aujourd’hui. C’est encore difficile d’empêcher un citoyen de construire sa maison dans les ravines, chose qui met sa vie en péril. L’Etat n’a pas toujours les moyens de sa politique.

Est-ce que parfois les bandits sont libérés et les policiers arrêtés ? Vous savez, il y a un système qui avait été mis en place, mais n’était peut être pas le meilleur et aujourd’hui nous en payons les conséquences. Et cela va durer. L’idée sur laquelle il faut jouer, c’est que le changement commence. Et changer, ça va prendre du temps. Pas la peine de parler de ces constructions, nous pouvons parler de l’eau potable qui reste un problème.

RFI : Justement les Nations unies s’inquiètent pour l’année à venir. En ce qui concerne le choléra, elles parlent de potentiellement 250 000 nouveaux cas de choléra. Comment comptez-vous renforcer le système de santé ?

MM : 250 000 cas de choléra, cela me paraît pratiquement irréel. Pourquoi ? Parce que, bien sûr, vous savez qu’avec l’eau, la pluie, la saison pluvieuse, nous avons enregistré  certains cas. Mais comparé à ce que nous avons vécu il y a un an, je dirais que la situation s’améliore et que, d’après les dernières nouvelles que j’ai, je ne suis même pas au courant de cas de morts de choléra. Il y a eu une petite remontée, les traitements sont là, les gens s’en sortent, cela a l’air d’aller.

RFI : Quand vous êtes arrivé au pouvoir vous vous êtes présenté pour le changement et vous avez appelé à la réconciliation nationale. Vous avez d’ailleurs pris comme initiative de rencontrer vos prédécesseurs, notamment Jean-Claude Duvalier. L’ancien président à vie fait l’objet de plaintes pour crimes contre l’humanité, qu’est ce que vous répondez aux inquiétudes des personnes qui ont été victimes du duvaliérisme ?

MM : Le rôle du président est de s’assurer que les institutions soient fortes. Je viens de vous dire qu’elles sont faibles, et quant à la situation de monsieur Duvalier, c’est à la justice de se prononcer. Sur son cas, je n’ai pratiquement rien à dire. Tout comme j’ai peut-être des amis qui sont en prison, c’est à la justice de se prononcer. Je n’ai rien à dire là-dessus.

RFI : Qu'est-il ressorti des rencontres avec les différents présidents, dont Jean-Claude Duvalier, mais aussi Jean-Bertrand Aristide et René Préval votre prédécesseur ?

MM : Je dirais que les rencontres ont été très cordiales. J’ai ressenti chez chacun d’eux la volonté de rester au pays, de vivre, de vivre en paix, de s’impliquer pour continuer à aider Haïti. Mais je dois être honnête, j’ai un peu lâché cette initiative du fait que j’ai été attaqué de partout. On a fait croire qu’il y avait un bras de fer entre le président et la presse, qu’il y avait un problème entre le président et le Parlement. Ce que j’ai fait, c'est que je me suis concentré sur les réalisations possibles et j’ai fait de mon mieux pendant tout ce temps.

Peut-être que je vais recommencer avec cette initiative, justement parce que je veux croire que si j’ai pu faire seul tout cela en un an, avec plus de monde, avec ces différents secteurs à mes côtés, peut-être que nous aurions fait trois fois cela.

RFI : Votre leitmotiv est « Haïti est ouverte pour les affaires », mais Haïti reste très mal classée. Selon les économistes le pays n’est pas encore assez compétitif. Comment résoudre le problème parce qu’il y a besoin d’emplois dans le pays?

MM : Il y a toujours des déclarations faites par-ci, par-là. Il y a toujours des gens qui voient de manière différente. A Haïti, d’après ce que vous venez de me dire, c’est difficile. Pourtant, Denis O’Brien a du succès avec la Digicel. A Haïti, c’est difficile. Et pourtant le Mariott arrive à peine en Haïti. A Haïti, c’est difficile, mais Heineken vient d’acheter une brasserie en Haïti et des compagnies se battent pour des contrats pour l’énergie en Haïti. Haïti a tendance à être au bas de la page mais il y a de bonnes choses qui se passent. Tout comme vous me parlez de choléra, vous me parlez de problèmes, de classement, on peut parler de l’eau potable qui reste un problème, de l’assainissement... mais il y a aussi de bonnes nouvelles et nous ne pouvons pas tout faire en un jour. D’ailleurs, si un président arrive au pouvoir en Haïti, croyant pouvoir tout changer, il se perd dès le premier jour. L’idée, c’est de se fixer quatre objectifs et puis de se pencher sur ces secteurs bien précis. A part cela, tout est encore à faire. Ainsi, l’idée est de rester bien concentré, d’avoir un objectif en tête et de l’atteindre.

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