Chen Guangcheng, symbole des tensions sino-américaines mais pas seulement...

Alors que la confusion règne autour de Chen Guangcheng qui a quitté l’ambassade des Etats-Unis où il s’était réfugié pour être admis, ce mercredi 2 mai, dans un hôpital de Pékin par les autorités chinoises, la situation du dissident a ravivé les tensions entre Pékin et Washington. Pour la spécialiste des relations sino-américaines, Valérie Niquet, cet épisode met également en lumière le malaise qui règne actuellement à l’intérieur même du pays.

RFI : Valérie Niquet, que vous inspire la façon dont a été réglée la situation du dissident Chen Guangcheng ?

Valérie Niquet : Ce qui est surtout frappant, c’est que cet incident s’ajoute à cette crise terrible que connaissent les autorités chinoises depuis le début du mois de mars. Je fais allusion à l’arrestation et à la fuite – déjà au consulat des Etats-Unis – d’un haut responsable de la police de Chongqing, puis à l’arrestation du responsable politique de cette ville. Cela a démontré qu’il y avait des tensions extrêmement vives au sein même du bureau politique. Tout ceci a profondément nui à l’image globale du pouvoir chinois, à la fois à l’extérieur mais également sur la scène intérieure. Et alors que cette affaire-là semblait en passe de s’apaiser, on a à nouveau ce dissident chinois qui trouve refuge à l’ambassade des Etats-Unis à Pékin, à l’issue d’une évasion qui semble rocambolesque, d’autant plus qu’il est aveugle. (…) Ces deux affaires ne sont pas directement liées mais elles mettent en évidence la faiblesse paradoxale du pouvoir qui n’arrive pas à imposer ses décisions à la périphérie. Et elles montrent également un régime où la partie d’irrationnel dans la gestion des affaires est tout de même très importante, cela à quelques mois du 18e congrès du Parti communiste, un congrès qui, normalement, devait assurer la transition harmonieuse entre plusieurs générations de dirigeants.

RFI : Le règlement du cas Chen Guangcheng est intervenu à la veille de la visite de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton à Pékin. Est-ce un hasard ?

V.N. : Certains pensent que la fuite de Chen Guangcheng aurait été plus ou moins programmée pour coïncider avec la date de ce dialogue économique et stratégique qui a lieu tous les ans, à Washington et à Pékin, entre la Chine et les Etats-Unis. Pour le moment, on n’en sait rien. Il semblerait en revanche que Chen Guangcheng ait bénéficié de certaines complicités au moment de son évasion de son domicile, où il était en résidence surveillée. On ne sait pas si c’était véritablement volontaire mais, encore une fois, cela se déroule dans une atmosphère de très grande inquiétude du pouvoir, de très grande agitation en Chine. C’est peut-être cet ensemble-là qu’il faut prendre en compte. Evidemment, on ne peut pas non plus exclure que l’on ait choisi ce moment-là pour accroître la pression sur les autorités chinoises, d’autant plus que Chen Guangcheng bénéficie de liens et de soutiens qui sont installés à l’étranger...

RFI : Quelles garanties a-t-il pu obtenir des autorités de ne pas être inquiété, lui ou ses proches, à l’avenir ?

V.N. : Tout d’abord, il faut noter que les personnes qui l’ont aidé à s’évader ont, semble-t-il, déjà été arrêtées et maltraitées, en tous cas au niveau local au Shandong, là où il était en résidence. Il faudra connaître quel sort est réservé à ces personnes qui ne sont pas directement de sa famille mais qui font partie d’un réseau qui l’aurait soutenu. Autrement, on ne sait pas encore quelles garanties concrètes il a obtenu. On sait en revanche que Pékin était déjà favorable à une gestion « plus souple » de son cas par rapport aux autorités locales. Donc peut-être que, tout simplement, on va le laisser s’installer et vivre à Pékin avec une certaine protection sans être pourchassé par les autorités provinciales du Shandong qui, jusqu’alors, avaient le champ libre. En tous cas, il ne souhaitait pas se réfugier aux Etats-Unis.

RFI : Un responsable américain a dit que ce type d’incident « ne se reproduirait plus à l’avenir ». Cela veut-il dire que les Américains refouleraient un dissident qui demanderait asile à leur ambassade, par exemple ?

V.N. : Là, je crois qu’on est plutôt dans une déclaration qui vise à ne pas faire perdre la face aux Chinois, une notion qui est assez importante pour un pouvoir qui réagit beaucoup en fonction des rapports de force. La Chine demandait des excuses et c’est, pour les Etats-Unis, une manière de leur donner une sorte de motif de satisfaction et l’occasion de ne pas perdre une nouvelle fois la face, comme cela avait été le cas avec l’histoire de Bo Xilai (le chef du PC de la province de Chongqing évincé du Comité central en mars dernier, NDLR). Il faut ajouter que c’est la deuxième fois en quelques mois qu’un Chinois cherche refuge auprès des Etats-Unis, après l’affaire Wang Lijun au mois de février.

RFI : Quel effet vont avoir ces deux cas très rapprochés sur les relations sino-américaines ?

V.N. : Les relations sino-américaines ne sont pas très bonnes à l’heure actuelle. Evidemment, il y a le dialogue qui se poursuit mais les contentieux sont importants, notamment au niveau économique. En plus, on est en année électorale aux Etats-Unis. Par ailleurs, les Etats-Unis ont opéré un vrai retour stratégique en Asie aux côtés des Philippines et du Vietnam, en particulier sur le plan de la sécurité et de la libre circulation sur mer qui est menacée aujourd’hui par les activités de la marine chinoise en mer de Chine du sud ou face au Japon. La Chine considère que les Etats-Unis constituent une sorte de puissance qui doit être progressivement exclue d’Asie mais elle n’a pas évidemment les moyens d’imposer ce bouleversement-là. En revanche, à la veille du 18e congrès du Parti communiste et dans un climat politique interne extrêmement tendu, Pékin n’a manifestement pas l’intention d’envenimer les choses avec Washington puisqu’ils ont cédé relativement rapidement aux demandes de Chen Guangcheng. De leur côté, les Etats-Unis n’avaient pas non plus l’intention de mettre un peu plus les Chinois dans l’embarras. C’est ce qui explique qu’ils aient lâché un peu de lest pour éviter de les pousser dans leurs derniers retranchements.

propos recueillis par Christophe Carmarans

Ndlr: Valérie Niquet est maître de recherche, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris.

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