Dandara, Mayara, Alini, Luis, Carlinhos, ces jeunes brésiliens issus des favelas cariocas, quartiers défavorisés de Rio, sont habitués à se promener dans des endroits qui n’existent pas sur les cartes, ne sont pas trouvés par les GPS ou repérés sur Google Maps. Car dans les bidonvilles incrustés au pied des collines de la ville, les rues n’ont souvent pas de nom et sont parfois juste signalées par un chiffre.
Leur mission : cartographier les points d’intérêt des favelas, là où quasiment personne ne mettrait les pieds. Recrutés dans le cadre du projet Wikimapa, mis en place par l’ONG brésilienne Rede Jovem, ils donnent un visage à des endroits jadis introuvables. Le projet Wikimapa a reçu le prix Mobile Premier Awards en 2010.
Cartographier les rues et les services dans les favelas
Créée en 2009, l’idée de Wikimapa est de cartographier les rues et les services dans les favelas et de les rendre accessibles en ligne, à l’aide d’une application développée spécialement pour ce projet. Le principe est simple : les jeunes sélectionnés, appelés wikireporters, sont équipés d’un portable 3G. Pour signaler une adresse, ils activent l’application et la fonction GPS disponible. Ils remplissent alors un formulaire avec les informations sur le type de voie (rue, allée ou boulevard) et enregistrent le chemin parcouru du début à la fin de la rue. Les données sont envoyées au serveur et rendues disponibles sur le site qui utilise la technologie de Google.
Pour réaliser ce travail, les jeunes reçoivent une aide financière et un portable avec forfait illimité. L’ONG organise aussi des ateliers pour expliquer le fonctionnement des nouvelles technologies, pas toujours accessibles pour ces jeunes. Participer au projet est ainsi une façon de les aider à sortir du ghetto, et de montrer à la société une autre face de ce monde caché, stigmatisé par la violence. Montrer le potentiel de développement des bidonvilles serait donc une façon d’attirer les investissements et de créer de nouvelles opportunités pour sa population qui subit la mauvaise réputation de la guerre urbaine menée par les trafiquants de drogue. Selon l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique (IBGE) 1,7 millions de personnes habitent dans les bidonvilles à Rio.
Depuis la création du site Wikimapa en 2009, cinq favelas sont désormais sur la carte : Complexo do Alemão, Complexo da Maré, Cidade de Deus, Pavão e Pavãozinho e Santa Marta. Cette année, le Complexo da Penha, à côté du Morro do Alemão, intégrera le projet. D’autre favelas comme Rocinha, Mangueira ou São João do Meriti, seront bientôt cartographiées, ou encore celle du Capão Redondo, à São Paulo. D’ici à la fin de l’année, 70 wikireporters seront dans la rue pour récolter de nouvelles données.
« Créer une interaction naturelle entre les habitants des favelas »
L’application gratuite est disponible pour l’instant uniquement pour la série N des portables Nokia, qui a fait un don au tout début du projet. Selon Patricia Azevedo, la coordinatrice de Wikimapa, une nouvelle version pour Androïd et iPhone sera bientôt téléchargeable. « On travaille pour transformer le site, et faire en sorte qu’il soit plus interactif, attirant. On veut que les jeunes surfent dessus comme s’ils étaient sur Facebook », dit-elle. « L’idée est de créer une interaction naturelle entre les habitants des favelas, sans la nécessité d’une mobilisation telle celle qui existe aujourd’hui. »
Le projet bénéficie actuellement d’un contexte favorable : depuis novembre 2011, la police brésilienne a repris le contrôle du Complexo do Alemão, longtemps considéré comme une des régions les plus dangereuses de la ville à la merci des trafiquants. L’instauration des UPPS (Unités de Police Pacificatrice), lancées il y a plus d’un an à Rio, a aussi changé la donne et rendu le travail des ONG plus facile. La criminalité reste importante, mais l’amélioration est palpable.
« Bien sûr qu’il sera plus facile de revenir au Complexo do Alemão après la sécurisation, bien plus qu’avant », dit Patricia Azevedo. « Mais la guerre du trafic n’a jamais posé de problème pour la mise en place du projet, même si le risque n’a jamais été négligé », affirme t-elle. Selon la coordinatrice, cela s’explique par le fait que les habitants ont bien accepté le projet, présenté par le biais des associations locales. « Ce qui donne du sens à Wikimapa est l’engagement des habitants. Cette légitimité nous a évité des soucis avec le trafic de drogue. Notre message reste le même : on est ici pour montrer le bon côté des favelas, pour mettre en valeur ce qui pourrait contribuer au développement local. »