Les Malouines, une blessure ouverte

Trente ans après la guerre de 1982, les Argentins revendiquent toujours la souveraineté de cet archipel situé à 600 kilomètres des côtes de la Patagonie et occupé par les Britanniques depuis près de 180 ans. S’ils ont obtenu des succès diplomatiques, la perspective de découvertes pétrolières au large des îles renforce le gouvernement de David Cameron dans son refus de toute négociation.

La commémoration du trentième anniversaire du début de la guerre des Malouines, ce 2 avril, a lieu dans un climat de forte tension entre Londres et Buenos Aires. Ces derniers mois, l’Argentine a rallié à sa cause l’ensemble de l’Amérique latine. Tous les pays de la région appuient désormais la demande de négociations avec le Royaume-Uni au sujet de la souveraineté de l’archipel, conformément aux résolutions des Nations unies sur la question.

La Chine a également apporté son soutien à la revendication argentine, alors que les États-Unis, tout en se déclarant neutres, ont appelé à des discussions entre les parties, ce dont ne veut pas entendre parler la Grande-Bretagne, qui s’est emparée militairement des îles, qui faisaient alors partie de l’Argentine, en 1833.

L’offensive diplomatique argentine s’est accompagnée d’une condamnation sans équivoque de l’opération armée lancée par la dictature au pouvoir à Buenos Aires en 1982, qui s’est terminée par la reddition des forces qui avaient occupé l’archipel, appelé Falkland par les Britanniques le 14 juin, après 74 jours de combat. C’est par la négociation que l’Argentine entend récupérer les Malouines, et c’est ainsi que la présidente Cristina Fernández de Kirchner, paraphrasant John Lennon, a appelé le Premier ministre David Cameron à « donner une chance à la paix ».

Un élément constitutif de l'identité nationale

Mais si l’Argentine condamne l’aventure militaire de 1982, elle entend saluer ses morts (elle y a perdu 649 hommes, contre 255 pour le Royaume-Uni) et rendre hommage à ses anciens combattants. Les uns et les autres étant considérés des victimes d’un coup de folie qui n’enlève rien à la légitimité de la revendication sur les Malouines, vécue comme un élément constitutif de l’identité nationale. En témoigne Nora Sosa, infirmière à l’hôpital militaire central quand le conflit a éclaté :

« Avant le 2 avril j’avais suivi la préparation pour aller aux Malouines, un entraînement professionnel, en tant qu’infirmière, pour secourir et aider les soldats. J’ai beaucoup de souvenirs de l’avant-guerre – l’euphorie à l’idée d’aller aux Malouines – et de l’après – j’ai eu à m’occuper des soldats blessés qui rentraient, ici à l’hôpital central, car la reddition a eu lieu alors que je n’avais encore embarqué. J’ai été avec eux, pas aux Malouines, mais à Buenos Aires. Et aujourd’hui, quand je vois des anciens combattants, je retrouve chez eux la même passion, le même amour pour les Malouines. Je crois en la paix. Je ne veux pas d’une nouvelle guerre. Mais il faut que nous puissions nous rendre dans les îles. Et que la souveraineté des îles revienne à l’Argentine ».

Un sentiment d'inquiétude qui s'est ajouté

Pour ceux qui ont pris part à la guerre, malgré les souvenirs douloureux, l’appartenance des Malouines à l’Argentine ne fait pas de doute. Mais pour beaucoup, s’ajoute un sentiment d’inquiétude, en raison de l’intérêt économique que représente désormais l’archipel pour le Royaume-Uni, ainsi que l’explique Rodolfo Carrizo, professeur d’université et membre d’une des plus importantes associations d’anciens combattants.

« J’ai participé à la guerre au sein du 7° régiment d’infanterie de la ville de La Plata, en tant que conscrit. Le service militaire était alors obligatoire. J’avais 27 ans et, ayant terminé mes études universitaires, j’ai été appelé sous les drapeaux. Les souvenirs de cette époque ne me quittent pas. Personnellement, j’ai été blessé deux fois au combat. J’en ai gardé un engagement très fort avec tous les camarades avec qui j’ai partagé les peines et les douleurs d’une guerre.

Mais il me reste aussi quelque chose qui est peut-être plus important : se battre pour que les soldats morts qui n’ont pas été identifiés le soient ; ils sont 123. Plus généralement, je pense qu’aujourd’hui la question des Malouines est mieux installée dans la société et jouit d’une plus grande compréhension. Sans doute a contribué à cela le fait que la présidente Cristina Kirchner en ait fait une cause stratégique nationale, mais aussi régionale, où les Malouines apparaissent comme un point de communication important entre deux océans, avec beaucoup de ressources : de grandes quantités de krill, un crustacé très riche en protéines, et du pétrole, que des compagnies, essentiellement britanniques, veulent exploiter. Il y a un risque de déprédation de cette ressource stratégique. Et c’est la même chose avec la pêche ».

Repenser la question des Malouines

À l’approche du trentième anniversaire du conflit, de très nombreuses manifestations artistiques ont permis aux Argentins de repenser la question des Malouines. Parmi celles-ci, une exposition du photo-reporteur Rafael Wollman, témoin du débarquement du 2 avril, dont les images permettent de comprendre à quel point les enjeux ont évolué depuis 1982 :

« J’étais aux Malouines le 2 avril 1982 et j’ai pu photographier la reddition des Britanniques, leurs marins avec les bras en l’air, des photos qui ont fait le tour du monde. J’y suis revenu en 2002, vingt ans après : il y avait déjà une base militaire et ils avaient conservé en l’état les champs de bataille, qui font maintenant partie d’un circuit touristique. Et je suis retourné aux Malouines il y a un mois pour de nouvelles photos. J’ai pu voir des exercices militaires, avec une frégate, des hélicoptères et des engins de combat. J’ai également photographié une plateforme pétrolière et je crois qu’aujourd’hui, le conflit le plus important est lié au pétrole. Jusqu’ici, les habitants des îles vivaient des ressources de la pêche, qui sont limitées. Mais le pétrole, c’est beaucoup d’argent et cela change la donne du conflit ».

À terme, les Malouines pourraient représenter entre 10 % et 15 % des besoins de la Grande-Bretagne en hydrocarbures. L’Argentine compte sur l’appui des puissances émergentes, comme le Brésil ou la Chine, pour que le Royaume-Uni accepte des négociations qui devraient déboucher, du moins dans un premier temps, sur un partage de souveraineté. Mais il lui faudra sans doute patienter pendant plusieurs décennies.

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