De correspondant à Buenos Aires
Finalement, Cristina Fernández de Kirchner n’avait pas de cancer. La biopsie de la tumeur qui lui a été extirpée a montré que celle-ci était bénigne. Il n’est donc plus question de carcinome papillaire, comme il avait été indiqué avant l’opération qu’elle a subie le 4 janvier, mais d’« adénomes folliculaires ». Alors que la présidente argentine a regagné la résidence officielle d’Olivos, dans la banlieue de Buenos Aires, le 7 janvier, pour une convalescence de trois semaines, la polémique enfle. Y a-t-il eu diagnostic hâtif, communication imprudente ou tentative de manipulation ?
Le parallèle entre Evita et « Cristina » s’impose
On s’interroge en particulier sur la « veille populaire » qui s’était organisée devant l’hôpital où la chef de l’Etat a été opérée. Les images qui montraient des militants péronistes brandissant des portraits de Cristina Fernández de Kirchner n’étaient pas sans rappeler celles qu’on avait vues il y a soixante ans, quand des millions d’Argentins priaient pour Eva Perón, atteinte, elle, d’un cancer de l’utérus qui allait l’emporter en quelques mois. Mais, qu’on ait voulu ou non faire de « Cristina », ainsi que la présidente est appelée familièrement, une icône comme Evita, la madone des « sans chemise » des années 1950, le parallèle entre ces deux femmes s’impose.
D’abord parce que la présidente a su créer avec ses partisans, surtout depuis la mort de son époux et prédécesseur Néstor Kirchner, en octobre 2010, un lien direct, émotionnel, qui n’est pas sans rappeler celui qu’avait établi Evita en son temps avec les Argentins des « classes laborieuses ». Comme Eva Perón, Cristina Fernández de Kirchner se présente comme une femme seule, qui a besoin du soutien du peuple pour lutter contre les puissants. Evita dénonçait l’ « oligarchie » et les capitalistes, Cristina s’en prend aux monopoles et aux « corporations ».
Evita improvisait ses interventions publiques, Cristina le fait aussi
La présidente affirme tirer sa force de l’action de « l’homme de sa vie », feu Néstor Kirchner, qu’elle cite dans tout ses discours. Comme Eva Duarte de Perón, qui n’occupait pas de fonctions officielles, le faisait avec Juan Perón, alors président de la République. Evita improvisait ses interventions publiques, Cristina le fait aussi, avec des intonations de voix qui résonnent parfois comme un lointain écho de propos tenus il y a soixante ans.
Il y a, bien sûr, des différences. Les cheveux châtain, jamais attachés, de Cristina, ne rappellent en rien le blond chignon, toujours impeccable, d’Evita. L’égérie des « sans chemise » était d’origine modeste et n’avait fait que l’école primaire, alors que l’actuelle présidente, issue de la classe moyenne, est avocate. Mais combien d’autres points en commun !
La tradition féministe les unit aussi
Comme Eva Perón, qui avait marqué les esprits lors de sa tournée européenne de 1947 par le faste de toilettes et bijoux, Cristina Fernández de Kirchner porte toujours de grandes marques, n’oubliant jamais, dans ses voyages officiels, de faire quelques emplettes dans des boutiques de luxe.
La tradition féministe les unit aussi. À une époque où les femmes ne participaient pas à la vie publique, Evita a fait campagne avec Perón, avant d’être à l’origine de la loi accordant le droit de vote aux Argentines. Elle a incité ses compatriotes du sexe féminin à militer et aurait été élue vice-présidente en 1951 si sa maladie n’avait pas empêché qu’elle soit candidate. Cristina, alors sénatrice et plus connue que son époux, gouverneur d’une lointaine province de la Patagonie, a joué un rôle essentiel dans l’élection de Néstor Kirchner en 2003. En 2007, elle est devenue la première femme élue à la présidence et, depuis, elle ne manque pas de placer son action dans le cadre de l’émancipation féminine.
Des mesures vers les mêmes catégories sociales
Par ailleurs, si Cristina Fernández de Kirchner ne cite que très rarement Eva Perón dans ses discours, les mesures sociales les plus marquantes de son premier mandat ont indiscutablement privilégié ceux pour lesquels Eva Perón disait combattre : les femmes et les enfants, les ouvriers et les personnes âgées. Elle a généralisé les allocations familiales et doublé le budget de l’éducation, favorisé les conventions collectives et augmenté le salaire minimum, qui est aujourd’hui le plus élevé d’Amérique latine, élargi la base du système de retraites et amélioré les prestations servies aux allocataires.
Évidemment, les temps ont changé. Il y avait deux millions de personnes Place de Mai pour écouter le dernier discours d’Eva Perón, que l’on savait atteinte d’un cancer. Ils étaient à peine un millier pour soutenir Cristina Fernández de Kirchner lors de son hospitalisation.
Mais aujourd’hui le soutien passe aussi par les réseaux sociaux, Facebook et Twitter, inondés d´ « Allez Cristina ». Et, de même que dans les années 1970 la jeunesse révolutionnaire avait fait d’Evita son porte-drapeau, les jeunes qui se disent de gauche sont maintenant les plus enthousiastes partisans de la présidente. Réélue avec 54 % des voix en octobre 2010 et au faîte de sa popularité, Cristina Fernández de Kirchner paraît bien partie pour être, dans cette Argentine qui change sans changer, une Evita du XXIe siècle.