Le 9 décembre 1981, une fusillade éclate dans un quartier de Philadelphie, puis un chauffeur de taxi appelé Mumia Abu Jamal, lui-même blessé dans l'échange de tirs, est arrêté pour le meurtre du policier Daniel Faulkner. Selon lui, et ceux qui vont le défendre sans relâche pendant les trois décennies suivantes, il est innocent, mais il a le profil du « coupable idéal » : noir, ce journaliste radio engagé, né sous le nom de Wesley Cook mais rebaptisé par ses soins d'un patronyme plus en accord avec ses convictions, a milité depuis son adolescence au sein du parti révolutionnaire afro-américain des Black Panthers âprement combattu par le FBI d'Edgar Hoover.
En revanche, aux yeux de ceux pour qui sa culpabilité ne fait aucun doute, Mumia Abu Jamal a froidement achevé, après lui avoir tiré dans le dos, ce policier blanc qui verbalisait son frère pour conduite à contresens. Dès juillet 1982, il est condamné à mort, à l'issue d'un procès emblématique des dysfonctionnements racistes que dénoncent régulièrement les défenseurs de la communauté afro-américaine : une enquête bâclée, des droits de la défense insuffisamment respectés, un jury presque exclusivement blanc...
Soutiens internationaux
Commence alors un long combat. Le portrait du nouveau locataire du couloir de la mort, avec ses tresses rasta, orne la campagne internationale « Libérez Mumia », qui persuade un certain nombre de célébrités, depuis l'actrice américaine Susan Sarandon jusqu'à la première dame française Danielle Mitterrand en passant par l'écrivain allemand Gunther Grass, d'intervenir en sa faveur. Abu Jamal anime cette campagne depuis sa prison, en fustigeant dans les livres qu'il publie sa condition carcérale et le système social américain.
Cette bataille de l'opinion s'accompagne d'un affrontement judiciaire de longue haleine. Car la « cause célèbre » qu'incarne Abu Jamal est prise en charge par les avocats de la NAACP, principale organisation de défense des droits civiques des Noirs. D'abord, à deux reprises, le condamné échappe à la programmation de son exécution, en 1995 et en 1999. Et puis, la multiplication des recours finira par aboutir à ce résultat dont se félicitent aujourd'hui tous les abolitionnistes : l'abandon, trente ans presque jour pour jour après le meurtre du policier, de la demande de peine capitale par le procureur de Philadelphie.
L'amertume de la veuve
Seth Williams ne s'y est pourtant pas résolu de gaîté de coeur ; il se dit toujours convaincu qu'Abu Jamal est coupable et qu'il mérite la peine prononcée en 1982. Mais le procureur est réaliste : une cour d'appel fédérale a, cette année, après avoir jugé inappropriées les instructions données à l'époque aux jurés, exigé un nouveau prononcé de sentence. Ce qui revenait, pour le ministère public, s'il convoquait cette audience, à s'exposer ensuite, à nouveau, à des recours interminables. Le procureur a donc décidé d'en finir avec une procédure qui, de son point de vue, n'avait que trop duré.
Abu Jamal quitte donc le couloir de la mort, dont il était l'un des occupants les plus anciens et les plus fameux. Mais il finira sa vie en prison, et sans possibilité de libération sur parole, ainsi que le prescrit la loi de Pennsylvanie. Une perspective qui, finalement, semble convenir à la veuve du policier assassiné, dont le procureur avait sollicité - et obtenu - l'accord avant de renoncer à la peine capitale. Maureen Faulkner, après avoir traité les juges de la cour d'appel de « lâches déloyaux », s'est engagée à « lutter avec la dernière énergie pour s'assurer que Mumia Abu Jamal ne reçoive aucun traitement spécial ». « Je ne supporterai pas de le voir dorloté comme il l'a été par le passé, a-t-elle poursuivi. Et la pensée qu'on va maintenant l'extraire du cloître protégé où il a vécu toutes ces années et qu'il commence à côtoyer les gens de son espèce - les voyous et criminels ordinaires qui infestent nos prisons - me soutient ».