De notre correspondant à Pékin
Joe Biden en client débiteur venu se faire sermonner par son banquier ou, au contraire, en professeur chargé de rassurer la Chine sur la solidité de l’économie américaine, ce sont probablement ces deux rôles que devrait incarner le vice-président américain pendant ce séjour en Chine marqué par la crise de la dette aux Etats-Unis.
Lors du passage de Hu Jintao à Washington l’hiver dernier, le vice-président avait promis de rendre visite à son homologue Xi Jinping, annoncé par beaucoup ici comme le futur chef de l’Etat chinois. A l’époque, on ne parlait que d’arrondir les angles, de gommer les vieux contentieux et de faire repartir les économies mondiales sur de bonnes bases après deux années de crise.
La dette au cœur des entretiens
Standards&Poor’s a décidé depuis de priver les Etats-Unis de son « AAA » et on connait la suite : la dette américaine est décotée, les bourses s’affolent et les médias chinois tirent à boulets rouges sur ces Américains qui « vivent au dessus de leurs moyens ». L’économie est devenue le principal sujet de discussion entre Américains et Chinois.
La Chine est le premier créancier des Etats-Unis et les engagements pris par la réserve fédérale américaine sont loin d’avoir rassuré les investisseurs d’autant que les autorités chinoises n’ont pas à ce jour présenté de véritable alternative pour sortir de leur dépendance aux bons du trésor américain.
« La question pour nous c’est combien on va perdre encore ?, s’interroge Xu Tiebing. C’est devenu un débat très aigu, poursuit ce professeur à l’Université de communication de Chine. Bien sûr il y a pas mal de colère au sein de l’opinion et même chez les spécialistes autour de cette affaire de dette, mais la colère ne résout rien. Les plus radicaux estiment que les américains nous ont tendu un nouveau piège. Les Chinois sont tombés dedans et on n’en sort pas. Ça, c’est la version du complot. Il y a aussi la version officielle qui est plus pragmatique et qui dit que finalement, si le dollar est faible, on peut se reporter sur l’euro ou le yen. En même temps ces deux visions sont contestées par les milieux académiques qui évoquent plutôt l’idée d’une internationalisation progressive du yuan ou d’un panier de monnaies communes avec les BRIC ».
Un nouvel ambassadeur « backpacker »
Quelle alternative pour sortir de la crise des dettes souveraines ? Pour les plus pessimistes, le monde est devenu imprévisible et il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier, puisque tous les paniers sont percés. En prenant ses fonctions dimanche à Pékin, le nouvel ambassadeur américain à lui aussi cherché à rassurer. Gary Locke est le premier Américain d’origine chinoise à occuper une telle fonction.
Opération séduction réussie tout au moins pour ce qui est de son arrivée. Les médias chinois ont noté qu’il « mangeait comme tout le monde » dans l’avion et qu’il avait été conduit à son ambassade très simplement, dans « une voiture ordinaire ». L’agence Chine Nouvelle l’a même surnommé le « backpacker » -à l’image de ses touristes qui voyagent avec un simple sac à dos-, tout en ajoutant évidemment que les problèmes qu’il aura à traiter seront « bien plus lourds que le sac qu’il a apporté en arrivant en Chine ». Gary Locke encourage les Chinois à poursuivre leurs investissements aux Etats-Unis. La réciproque est vraie et l’escale de Joe Biden à Chengdu n’est pas liée au hasard.
« La ville des vice-présidents américains »
La capitale du Sichuan, à l’ouest de la Chine et ses 14 millions d’habitants est devenue l’un des pôles d’attraction des multinationales étrangères autrefois cantonnées sur la côte est. Le grand Ouest représentant 70% du territoire chinois, avec une main d’œuvre meilleure marché et de nouveaux potentiels de développements. Le géant de l’électronique américain Intel y a installé son siège.
« On a aujourd’hui entre 250 et 300 entreprises américaines sont déjà installées ou en voie d’installation à Chengdu, se réjouit Yuan Xi fiers d’afficher à son tableau de chasse les marques des plus grands groupes internationaux. Intel, Wall Mart, City Bank sont déjà là, sans compter la centaine de sous traitants américains des multinationales, ajoute le responsable de la promotion de la ville auprès des investisseurs étrangers. Et de toute façon, Chengdu est la ville de Chine qui attire le plus les vice-présidents américains. En 1986, Bush père était vice-président et c’est lui qui déjà était venu pour l’ouverture du consulat américain ici. Il faut savoir qu’aujourd’hui plus de la moitié des semi conducteurs d’Intel sont fabriqués à Chengdu, depuis que l’entreprise a décidé de fermer sont usine à Shanghai ».
Ventes d’armes à Taiwan
Sur les différents fronts diplomatiques, il sera bien entendu question de la Corée du Nord, des tensions en mer de Chine, mais aussi et surtout des ventes d’armes à Taiwan. Selon Hillary Clinton, le président Barack Obama doit donner sa réponse sur le sujet avant le 1er octobre. Mais dès hier lundi, des sources taïwanaises évoquaient un probable recul de Washington sur la question.
Les Etats-Unis auraient finalement renoncé à la commande de 66 nouveaux chasseurs F16C/D au motif que cela pourrait renforcer les tensions avec Pékin. Les Américains auraient alors proposé à Taipei un package avec l’ancienne version du F16, ce qui n’a pas été confirmé officiellement. Ces nouvelles ventes d’armes interviennent dans le contexte de campagne électorale à Taiwan. L’actuel chef de l’état taïwanais Ma Ying-jeou ayant contribué au réchauffement des relations avec la Chine continentale, reste le favori de Pékin.
« Forcement, il y aura des protestations mais elles seront formelles, estime le professeur Xu Tiebing. Si on regarde le dernier mandat de cinq ans de Hu Jintao et Wen Jiabao, on voit qu’il y a eu toute une série de problèmes de gouvernance. Mais au moins, sur la question de Taiwan, beaucoup considèrent que c’est un succès. Il y a eu indéniablement un rapprochent des cotés du détroit de Formose. Et cela on le doit au président taïwanais Ma Ying-jeou. Du coup, les autorités chinoises se montrent plus compréhensives. On est dans un contexte électoral, on sait qu’il faut faire quelques concessions aux indépendantistes, et il y a les pressions du complexe militaro-politique américain. Donc il y a ces ventes d’armes qui vont donner à Pékin l’occasion de protester, mais on est plus dans la situation d’il y a quelques années sous le président Chen Shui-bian, qui avait une option clairement indépendantiste, très mal acceptée chez nous ».
Et les droits de l’homme…
Pour la deuxième fois cette année, un moine s’est immolé lundi soir dans le Sichuan, à majorité tibétaine. Ces dernières semaines les révoltes ont éclaté un peu partout en Chine: en Mongolie intérieure, au Xinjiang ou à Canton, dans le sud. Le vice-président américain devrait évoquer la question des libertés individuelles et la répression des militants de la cause des droits de l’homme avec les responsables chinois, sans aucune chance d’être entendu.