L’Argentine replonge dans la « guerre sale » ces derniers jours. Cette guerre des années 1970-1980 qui planifiait l’extermination des opposants et non-croyants avec passage obligé par la torture. Destination finale : l’océan Atlantique ou les eaux de Rio de la Plata dans lesquels étaient jetés vivants les séquestrés depuis des avions, de nuit.
Le 14 décembre 1977, un de ces « vols de la mort » prend les airs. Trois policiers pilotent l’appareil, Alejandro d’Agostino, Enrique de Saint-Georges et Mario Arru. Ce sont ces trois hommes qui viennent d’être arrêtés avec deux autres pilotes. Le juge Sergio Torres les soupçonne par ailleurs d’avoir participé à vingt autres « vols de la mort ». A bord de l’avion, cette nuit-là, les deux religieuses françaises ainsi que quatre membres du mouvement des Mères de la Place de mai. Ces six personnes sont anesthésiées, ligotés puis lâchées dans le vide. Ce n’est qu’en 2005 que les restes du corps de Léonie Duquet sont identifiés. L’autre religieuse, Alice Domon, demeure disparue.
Une semaine en centre de torture
Pour Léonie Duquet et Alice Domon, tout commence les 8 et 10 décembre 1977, dates de leur enlèvement. Elles se trouvent alors dans l’église de la Santa Cruz où se réunissent les proches des desaparecidos - les disparus du régime - enlevés et tués. Parmi ces proches, un infiltré : l’officier de marine Alfredo Astiz, actuellement jugé avec 18 autres accusés pour son rôle présumé dans la mort de près de 5 000 personnes. Il donne l’ordre de l’enlèvement. Aux côtés des deux religieuses, se trouvent dix militants des droits de l’homme, et Azucena Villaflor, la fondatrice du mouvement des Mères de la Place de mai, ces mères argentines qui font des rondes hebdomadaires depuis le 30 avril 1977 sur la Plaza de Mayo à Buenos Aires, un voile blanc sur la tête, pour retrouver leurs enfants kidnappés.
Léonie Duquet et Alice Domon sont alors détenues à l’Ecole de mécanique de la marine (ESMA), le plus grand centre de détention de la dictature à Buenos Aires. Elles vont y rester près d’une semaine, avant d’être jetées à la mer.
Un endroit pour se recueillir
Aujourd’hui âgé de 59 ans, Alfredo Astiz, cet ex-officier de l’ESMA qu’on surnomme l’« ange blond de la mort » attend d’être jugé. Lors de son procès, l’avocat du secrétariat des droits de l’homme Martin Rico a déclaré qu’« Astiz et d’autres officiers dont son chef, Jorge Acosta, dit « Le Tigre », et Antonion Pernias avaient été vus quittant la salle de tortures dans laquelle Domon recevaient des décharges électriques ». La Française était dans « un état épouvantable », a-t-il ajouté.
Avec l’arrestation de ces trois pilotes, les familles des victimes espèrent en savoir un peu plus. « Qu’on nous dise exactement comment ça se passait à l’Ecole mécanique de la marine ? Où est-ce qu’ils les transportaient ? De quelles façons ils le faisaient ? », indique Jean-Pierre Lhande, le président de l’Association des parents et amis de disparus en Argentine. Pour lui, « les familles ne cherchent pas la vengeance, les familles cherchent un endroit où se recueillir, où aller pleurer ». Les condamnations des tortionnaires ne sont pas leur priorité.
Le gouvernement argentin souhaite rendre justice
C’est la priorité en tout cas du gouvernement argentin qui s’est porté partie civile dans le procès des 19 accusés de l’ESMA. Le gouvernement réclame la peine maximale à l’encontre d’Alfredo Astiz, c’est-à-dire la réclusion à perpétuité. Les réquisitions du procureur sont attendues prochainement, mais celui-ci n’est pas tenu de respecter les demandes du gouvernement.
Depuis l’arrivé au pouvoir en 2003 de Nestor Kirchner, l’Argentine tente de lever le voile sur cette période sombre de son histoire. Il a ainsi annulé les lois d’amnistie qui protégeaient les tortionnaires et autorisé la réouverture des procès. Cette « guerre sale » livrée par la dictature entre 1976 et 1983, officiellement appelée le « Processus de réorganisation nationale », a fait près de 30 000 disparus dont 18 Français, 15 000 fusillés, 9 000 prisonniers politiques et 1,5 million exilés.
A l’époque, 500 bébés ont été kidnappés à leurs parents pour être élevés par des familles proches du pouvoir. Seuls quelques-uns ont retrouvé leur vraie famille.