Le Brésil tourne la page de huit ans de présidence Lula

Après deux mandats, huit ans au pouvoir et auréolé d’une immense popularité, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, quitte le pouvoir, ce vendredi 31 décembre 2010, avec plus de 80% d'opinions favorables. Le 27 octobre 2002, il était élu président de la République du Brésil. Après trois échecs successifs, les portes du palais du Planalto s'ouvraient enfin à cet ancien syndicaliste, chef du Parti des travailleurs.  Demain 1er janvier, il transmettra les pouvoirs à Dilma Roussef, celle qu'il a lui-même choisie pour lui succéder.

Le président brésilien quitte le pouvoir avec 80 à 90% d'opinions favorables !!! Des sondages à faire pâlir d’envie n’importe quel dirigeant. Un homme si populaire ne peut pas être tout à fait mauvais. D’autant qu’à l’entendre, sous sa présidence, le Brésil a vécu un véritable petit miracle économique. En septembre 2008, à la tribune des Nations unies, Luiz Inazio Lula da Silva est fier d’annoncer que « depuis 2003, le Brésil a créé 10 millions d'emplois, redistribué la richesse, amélioré les services publics, tiré 9 millions de personnes de la pauvreté extrême et amené 20 millions d'autres dans la classe moyenne ». C’est vrai mais le bilan est un peu plus contrasté que le président brésilien veut bien le dire.

Rompre avec le passé

Lorsqu’il arrive au pouvoir en 2002, il hérite d’une situation délicate. Pendant ses deux mandats, le président Fernando Henrique Cardoso a laissé filer la dette brésilienne qui est passée de 29% du produit intérieur brut à plus de 56%. Les milieux économiques et financiers sont convaincus que ce président de gauche, dont le parti, le Parti des travailleurs prône l’étatisation des moyens économiques va aggraver la situation. C’est tout l’inverse qui se passe. « Quand il est arrivé au pouvoir, Lula a renié les programmes très radicaux du Parti des travailleurs, qui était des programmes très socialisants, très étatisant », explique Alfredo Valado directeur de la chaire Mercosur à l'Institut politique de Paris. Il ajoute : « pendant la présidence de Lula, il y a eu l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs, plus jeunes plus dynamiques et donc cela a permis un changement de mentalités au Brésil. Il y a désormais des investissements brésiliens à l’étranger, l’an dernier, ils ont même dépassé le montant des investissements étrangers au Brésil. En fait Lula a approfondi le capitalisme ».

Soutenir la croissance au bénéfice des plus pauvres

En menant une politique qui pourrait être sortie directement des tiroirs du Fonds monétaire international, Lula ramène la confiance et donc les investisseurs et avec eux la croissance. Comble du retournement de situation en juin 2009, ce n’est pas le FMI qui prête au Brésil, mais le Brésil qui prête 10 milliards de dollars au FMI.

Certes Lula a bénéficié d’une stabilisation de l’économie entamée par son prédécesseur, pendant les deux tiers de son mandat, il a bénéficié d’une croissance économique internationale forte mais la situation ne doit rien au hasard pour Stéphane Monclaire, chercheur à l'Institut des Hautes études de l'Amérique Latine. « Lula a fait le pari de développer le marché intérieur à travers une hausse importante du salaire minimum, à travers des programmes d’allocations de ressources qui se sont révélés assez efficaces. Efficaces pour la croissance mais moins sur la lutte contre la pauvreté. Certes la pauvreté a reculé mais pas là où c’était le plus nécessaire, c’est-à-dire dans les campagnes et au sein de la population noire. Elle a plus reculé au sein de la population blanche des villes. Cela veut dire que les politiques publiques mises en place par le gouvernement Lula étaient mal adaptées par rapport à l’objectif visé et n’ont pas eu non plus les résultats escomptés », explique Stéphane Monclaire.

Ce demi-échec ou demi-succès selon que l’on veut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, n’a pas mis un terme au débat ancestral sur la fin des inégalités sociales au Brésil. Le dossier intact, attend Dilma Roussef.

L’agro-industrie à l’assaut de l’Amazonie

L’autre revers de cette croissance c’est l'environnement. La communauté internationale a fait pression pour que le Brésil s'engage à préserver la forêt amazonienne. Ce que Lula a fait, tout en cherchant à préserver la croissance, avec donc, des arbitrages contradictoires. Dans les grandes instances internationales, le Brésil a été en pointe dans la lutte pour l’environnement et a mené une politique active contre la déforestation.

Mais dans le même temps « nous avons assisté à des arbitrages en faveur des lobbys industriels et de l’agro-négoce contre l’agriculture familiale, contre des projets de développement durable, le Brésil fait du maïs transgénique, et la séparation entre le transgénique et le normal n’est absolument pas bien assurée », explique Stéphane Monclair.

La politique de Lula en la matière est à ce point décevante pour que la ministre de l’Environnement, Marina Silva remet sa démission. Elle s’est ensuite présentée à l’élection présidentielle contre la candidate de Lula, Dilma Roussef.

Les indiens attendent un nouveau statut

Le non-respect de la forêt amazonienne, c’est aussi le non-respect des indiens qui y vivent. Eux qui avaient voté à une large majorité pour ce président dont les origines très modestes leur avait inspiré la confiance ont été très déçus et attendent toujours un nouveau statut. Celui sous lequel ils vivent date de 1973 et les considère mineurs devant la loi.

La constitution de 1988 leur reconnaît plus de droits mais ils attendent toujours la délimitation de leurs terres. Ce que Lula leur avait promis et qu’il n’a pas tenu. Là encore ce dossier brulant attend Dilma Roussef. La succession de Lula risque donc d’être difficile pour la nouvelle présidente.

Non seulement elle n'a pas le charisme de Lula, non seulement elle est plus à l’aise dans les dossiers que dans un bain de foule, mais elle va hériter de surcroît, d'un contexte économique beaucoup moins favorable. L'économie brésilienne donne des signes de surchauffe, l'inflation a tendance à repartir. Avec le départ de Lula, c'est donc bien une page qui se tourne pour le Brésil.

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