La condamnation a perpétuité de l’ancien général Jorge Rafael Videla, le 22 décembre, a été vécue comme une réparation historique pour une grande partie de la société argentine. Jugé à Córdoba, dans le centre du pays, avec 30 co-accusés, l’homme qui a symbolisé la dictature au pouvoir entre 1976 et 1983, a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité pour sa responsabilité dans l’assassinat de 31 détenus politiques.
Mais, par-delà les faits qui lui étaient reprochés, c’est pour avoir été le principal dirigeant et le théoricien d’un régime qui a tué au moins 15 000 personnes (30 000 selon les organisations de défense des droits de l’homme) que Videla devra terminer ses jours en prison. Ainsi qu’en avait déjà décidé la justice en 1985, à l’issue du procès contre les principaux chefs de la dictature qui a eu lieu au retour de la démocratie, sous la présidence du radical Raúl Alfonsín. Alors condamné à la réclusion à perpétuité, il avait recouvré la liberté cinq ans plus tard, à la faveur d’une mesure de grâce dictée par le successeur d’Alfonsín, le péroniste Carlos Menem.
Par la suite, Videla devait être à nouveau détenu, à partir de 1998, sur ordre d’un juge qui a considéré que le vol des bébés de disparus, nés sous la dictature durant la captivité de leurs parents, n’avait pas été jugé en 1985, mais il avait pu bénéficier d’un régime de faveur accordé par le Code pénal argentin aux personnes âgées de plus de 70 ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, le tribunal de Córdoba ayant précisé dans la sentence que le condamné, bien qu’âgé de 85 ans, devra purger sa peine dans une prison ordinaire.
Arrivé au pouvoir, il promet « la fin de l’anarchie »
Commandant en chef de l’armée, Jorge Rafael Videla est désigné président par la junte qui prend le pouvoir en Argentine le 24 mars 1976. À l’époque, le pays est en déliquescence : guérilleros d’extrême gauche et groupes paramilitaires soutenus par une partie de l’appareil d’État s’affrontent dans un climat d’une rare violence qui n’épargne pas les civils. Sous les ordres du gouvernement constitutionnel dirigé par Isabel Martínez de Perón, qui a accédé à la présidence en tant que vice présidente à la mort de son époux Juan Perón, l’armée est déjà engagée dans la répression de la guérilla, sans grand succès.
Dès son premier discours, Videla promet « la fin de l’anarchie » et « le retour à l’ordre républicain ». Les garanties constitutionnelles sont suspendues et, dans le cadre d’un plan manifestement préparé de longue date, l’armée prend le contrôle total du pays. Commence alors la période la plus noire de l’Argentine contemporaine. En moins de deux ans, la guérilla est quasiment liquidée, mais la répression s’étend à l’ensemble des forces de gauche et, plus généralement, à tous ceux qui pourraient être tentés de s’opposer à la junte. Affirmant qu’ils sont « en guerre contre le marxisme international », les militaires enlèvent, torturent et tuent non seulement leurs cibles présumées, mais aussi les membres de leurs familles. Ils opèrent clandestinement et ne font pas de prisonniers « officiels ». Leurs victimes seront des « disparus » et, en tant que tel, selon une phrase de Videla qui a marqué, « ils n’existent pas ».
La crise économique met fin à la présidence de Videla
Videla connaît son heure de gloire en 1978, avec la Coupe du monde de football organisée et gagnée par l’Argentine : le pic de la répression est passé et il se vante d’avoir vaincu l’« ennemi intérieur ». Mais l’économie ne suit pas : contrairement à ce qui s’est passé avec Augusto Pinochet au Chili, les recettes « ultralibérales » appliquées par la junte débouchent sur une nouvelle crise. En 1981, il est débarqué par ses pairs. Un an plus tard, le général Leopoldo Galtieri, alors chef de la junte, tente un coup de poker avec la guerre pour les îles Malouines, revendiquées par l’Argentine depuis leur occupation par la Grande-Bretagne au XIX° siècle. En 1983, les militaires, aux abois, rendent le pouvoir. L’élection de Raúl Alfonsín marque la fin de la dictature.
Jorge Rafael Videla restera la figure dominante de ces années noires. Il a été le premier et le plus dur des chefs de la junte et c’est durant son règne qu’il y a eu le plus grand nombre de disparus. Trente-quatre ans après, il pense encore avoir fait ce qu’il devait faire, comme il l’a dit lors de son procès, en déclarant notamment que ce n’était pas « une guerre sale, mais une guerre juste ». Pour les milliers de proches de victimes de la dictature, sa condamnation est un début d’apaisement.