Haïti : la peur au temps du choléra

En moins d’un mois, le choléra a déjà fait plus de mille morts en Haïti malgré les efforts humanitaires internationaux. Entretenue par le manque drastique d’infrastructures sanitaires, l’infection gagne du terrain et menace de sauter la frontière avec la République dominicaine où un Haïtien malade a été hospitalisé le 2 novembre. La peur monte et la colère gronde en Haïti. Des affrontements avec les casques bleus accusés de propager le choléra ont fait deux morts lundi parmi des manifestants.

L’expansion du choléra est bien sûr facilitée par les conditions d’extrême précarité dans lesquelles vivent les sinistrés du séisme du 12 janvier 2010. Mais le tremblement de terre n’explique pas tout. En matière d’hygiène, Haïti vient de nulle part. Acteur important de la lutte contre l’infection, la Croix-Rouge ne parvient pas à enrayer la catastrophe malgré ses livraisons de latrines toutes neuves, avec leur « dames pipi » équipées de bidons d’eau de Javel.

Un cloaque pour cadre de vie

Sels de réhydratation et antibiotiques permettent de guérir rapidement le choléra lorsqu’il est pris à temps. S’ils ne sont pas trop accablés par une malnutrition chronique, les enfants récupèrent même très vite. Mais lorsqu’ils rentrent chez eux, c’est en général pour replonger dans le cloaque qui sert de cadre de vie à nombre de citadins haïtiens et aux habitants des villages à la moindre inondation.

Comme le soulignait déjà en juillet dernier un rapport alarmiste de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Haïti est le seul pays au monde où la gestion des déchets et le traitement des eaux usées ont reculé ces dernières années, « au point qu’avant le tremblement de terre, dix-sept pour cent seulement des habitants disposaient de toilettes ».

Six mois après le séisme, la moitié au moins des quelque deux millions de sinistrés n’avaient toujours pas accès aux infrastructures nécessaires en la matière. Pourtant l’aide humanitaire s’est logiquement concentrée sur les camps de déplacés. La situation est donc pire encore dans les bidonvilles urbains ou dans les zones rurales reculées, là où l’assainissement constitue depuis longtemps l’un des besoins les plus urgents en termes de développement (jamais atteint) sinon de reconstruction (promise pour beaucoup plus tard).

Alerte à la contagion

En attendant, et malgré les conseils de prévention diffusés par l’ensemble des radios, mais aussi par camions sonorisés et même via 2 millions de SMS envoyés à Port-au-Prince et dans l’Artibonite, la Croix-Rouge déplore que les corps de certaines victimes du choléra soient conservés dans les familles ou pire encore, qu’ils restent à l’abandon dans les rues. Des situations hautement contagieuses maintes fois constatées dans la quatrième ville du pays, Gonaïve (350 000 habitants), dans le département de l’Artibonite, entre montagnes et mer des Caraïbes. Son maire a d’ailleurs affrété un camion pour ramasser les corps et s’efforce de dissuader la population de tout contact prolongé avec eux.

C’est au retour d’une visite chez lui, en Haïti, le 29 octobre qu’un ouvrier du bâtiment de 32 ans est tombé malade à Higuey, dans la République dominicaine voisine où il réside. Il a été hospitalisé le 2 novembre, après avoir à peine dépassé le temps d’incubation ordinaire du choléra : 48 heures. Rendu public par le ministre dominicain de la santé publique, Bautista Rojas, ce premier cas relance les craintes de l’autre côté de la frontière qui sépare les deux Etats de l’île d’Hispaniola. Depuis fin octobre la République dominicaine avait pourtant très sévèrement réglementé les entrées sur son territoire des biens et des personnes en provenance d’Haïti. Des militaires ont même été déployés pour verrouiller la frontière et endiguer la maladie.

Panique sur Hispaniola

Martyrisée par les aléas climatiques, séisme et inondation, avant d’être la proie d’un choléra opportuniste qui se développe sur sa misère, sans parler de la violence politique ou crapuleuse qu’elle subit plus souvent qu’à son tour, la population haïtienne a bien des raisons d’avoir peur et même de se sentir abandonnée en dépit de l’aide extérieure. Celle-ci ne peut guère répondre qu’à l’urgence.

Lundi c’est un véritable mouvement de panique qui a vu des habitants de Hinche, au centre du pays, et de Cap-Haïtien, au Nord, menacer des casques bleus népalais accusés d'avoir propagé le choléra à partir des fosses septiques de leur base de la région de Mirebalais (centre). Pris de peur à leur tour, les soldats de l’Onu ont tiré dans la foule, faisant deux morts et quatorze blessés.

Le porte-parole de l’armée népalaise assure avoir effectué des tests prouvant qu’aucun soldat sur son millier d’hommes n’est porteur de la bactérie du choléra. Mais mardi encore, des heurts ont opposé des jeunes manifestants et des soldats de la force de maintien de la paix de l'ONU (Minustah) pour la deuxième journée consécutive au Cap-Haïtien la deuxième ville du pays.

A l’appui de la Minustah qui a revendiqué lundi son droit à la « légitime défense » dans un communiqué dénonçant « une motivation politique » pour créer « un climat d’insécurité » à la veille des élections présidentielle et législatives du 28 novembre, le président haïtien, René Préval, a lancé mardi soir un appel à « maintenir la solidarité avec les autorités nationales et la communauté internationale ».

« Les tirs d'armes à feu, les jets de bouteille, les barricades de pneus enflammés ne permettront pas d'éliminer le germe du choléra. Au contraire, cela empêchera les malades de recevoir des soins et de livrer les médicaments là ou cela est nécessaire », conclut René Préval qui appelle candidats et partis à « combattre le choléra tout en poursuivant la campagne électorale ».

Les élections et leurs cortèges de déplacements constituent certes une priorité politique. Elles menacent toutefois de très mal s’accommoder de la situation sanitaire.
 

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