Pierre-Edouard Deldique :
Ingrid Betancourt tenait à cet entretien car RFI l'a accompagnée durant son calvaire. Nous tenions à la rencontrer. Cela s'est fait dans un hôtel à Paris. Pour cet entretien, j'ai tenu compte des questions que nos internautes nous ont envoyées, notamment via la page Facebook de l’émission, questions qui portaient sur les conditions de sa captivité et, plus critiques, sur son supposé traitement de faveur et la polémique qui a suivi sa libération.
Voici pour nos internautes plusieurs extraits de cet entretien, qui ne figurent pas dans le magazine diffusé ce dimanche
Sur l’état d’esprit d’un otage face à l’extérieur, sa réaction aux messages envoyées par les familles
Ingrid Betancourt : Mes compagnons hommes, qui recevaient des messages de leurs femmes, disaient parfois toutes sortes de choses très cruelles. Il y avait entre compagnons toutes sortes d’élucubrations sur ce qu’était la vie au dehors. Il y avait ceux qui disaient : « mais de toute façon ma femme, elle m’appelle parce qu’elle a envie de mon fric, elle est sûrement déjà avec quelqu’un d’autre ». C’était très dur à entendre. Très, très dur. Et moi je leur disais : «mais non, pourquoi ?» On pense cela parce qu’en fait on est tellement mal avec nous-mêmes qu’on n’arrive pas à se dire que quelqu’un puisse s’intéresser à nous autrement que par opportunisme ou intérêt. Mais comme moi j’avais Maman, je me disais : ce n’est pas vrai, il y a des êtres qui nous appellent parce qu’on leur manque, parce qu’ils ne peuvent pas vivre sans nous, parce qu’ils n’arrivent pas à refaire leur vie sans nous.
Je me rappelle que les femmes qui étaient avec moi en captivité, qui écoutions donc les messages, et notamment Gloria [Polanco] avec qui nous avions cette discussion et nous disions : nous n’allons pas nous laisser contaminer par leur cynisme parce que nous avions besoin d’écouter. Elle, son mari l’appelait tous les jours. Le mien malheureusement n’appelait pas. Mais d’une certaine façon je me disais que c’était normal, parce que cela doit être très dur et je ne voulais pas non plus juger ce que pouvait être la vie de l’autre côté. A la fin de la captivité la situation était claire pour moi : j’avais déjà entendu mon mari s’exprimer à la radio en expliquant qu’il avait refait sa vie. Mais pour tous ceux que leurs femmes appelaient, j’avais toujours été un petit peu choquée, alors qu’ils avaient la chance de les écouter, qu’ils trouvent le moyen de se dire que c’était autre chose que de l’amour.
Son message aux autres otages à travers le monde
A Stéphane et à Hervé [Taponier et Ghesquière] qui sont en ce moment en Afghanistan, depuis le 29 décembre 2009 et à tant d’autres qui sont dans le monde et qui attendent leur printemps. Leur dire que chaque jour qui passe est une opportunité de croissance spirituelle et de grandir en eux-mêmes. Il n’y a pas de temps perdu. Il n’y a jamais de temps perdu. Il y a toujours un enrichissement et cet enrichissement sera d’autant plus important, leur trésor, qu’ils se prépareront pour le moment de cette liberté qui va arriver.
Elle va arriver, cette liberté. Ils vont connaître ce jour de printemps. Et en se préparant pour ce jour, en révisant leur vie, en faisant la dissection de ce qu’ils vivent et de ce qu’ils auront vécu, ils pourront se préparer pour une vie de plénitude comme ils ne l’ont jamais connue auparavant. Et qu’il faut donc comprendre que ces moments terribles qu’ils sont en train de vivre, sont une opportunité à saisir.
Et cela est valable aussi pour mes frères en Colombie, et pour Aung San Suu Kyi.