« Peur d’être seule. Peur d’avoir peur. Peur de mourir » : Ingrid Betancourt raconte pour la première fois dans un livre bouleversant sa captivité dans la jungle colombienne. Enlevée en 2002 par les Forces armées révolutionnaires de colombie (FARC) elle est restée prisonnière de la guérilla 6 ans 4 mois et neuf jours. La franco-colombienne avait été libérée, avec 14 autres séquestrés, le 2 juillet 2008 au cours d’une spectaculaire opération de l’armée baptisée « Jaque » (NDLR : échec). Tous les otages n’ont pas eu la chance d’être sauvés, 19 prisonniers dits « politiques » sont toujours aux mains de la guérilla qui souhaite les échanger contre 500 combattants emprisonnés. Ingrid Betancourt a longtemps été l’égérie de la cause des otages. Son enlèvement, très médiatisé, avait permis de faire connaître au monde entier le sort réservé aux prisonniers des Farc. Aujourd’hui la situation des séquestrés ne fait plus la première page des journaux. La rébellion détient des militaires, des policiers, capturés souvent il y a plusieurs années. Libio Martinez par exemple est otage depuis décembre 1997. Le sergent Francisco Aldemar a été enlevé en mars 2009 mais sa famille n’a aucune preuve de vie.
Les enlèvements contre rançon
Outre les policiers et militaires identifiés comme captif de la guérilla, chaque année de nombreux civils sont victimes d’enlèvement. Les groupes armés colombiens pratiquent le rapt contre rançon pour alimenter leur trésor de guerre. « L’enlèvement continue à faire très peur » dit Claudia Llano, la porte-parole de « Païs libre ». L’association gère actuellement 137 dossiers de ce type. Claudia Llano explique : « il est très important de dire qu'en Colombie, le nombre global d’enlèvements a baissé. Toutefois, les prises d'otages crapuleuses se poursuivent. Elles frappent des gens ordinaires, anonymes. Ils peuvent être retenus un mois, 15 jours, une semaine. Il faut payer pour rentrer chez soi. Les groupes armés enlèvent aussi des salariés pour faire payer les entreprises ». Selon les données officielles, au mois d’août dernier, 30 personnes ont été capturées. 19 ont pu recouvrir la liberté.
Pas d’échange humanitaire pour les otages « politiques »
Les familles demandent aux autorités colombiennes de négocier. Elles rejettent en général l’option d’un sauvetage militaire, jugée trop dangereuse pour la vie de leurs proches. Ainsi, lorsqu’Ingrid Betancourt était encore captive, le Président Alvaro Uribe était vilipendé par les comités de soutien qui prônaient l’ouverture du dialogue avec les Farc. Pour l’instant, l’Etat colombien a toujours refusé le principe de l’échange humanitaire. Ce serait disent les autorités « céder au chantage des terroristes ». Cette politique de fermeté est-elle remise en question par le nouveau chef de l’Etat, élu l’été dernier ? Pas vraiment. Il faut dire que Juan Manuel Santos occupait le fauteuil de ministre de la Défense avant d’accéder à la magistrature suprême. A l’occasion de la campagne électorale, on a pu voir que le choix de « la main de fer » à l’égard de la guérilla était largement soutenu par la population. A tort ou à raison, les bénéfices de la politique de « sécurité démocratique » semblent plus importants aux yeux de la majorité des Colombiens que les atteintes aux droits de l'homme commises par les autorités dans ce conflit. Cette guerre interne dure depuis plus de 50 ans.
Reprise des violences
Aujourd’hui Juan Manuel Santos se dit prêt au dialogue sous condition, explique la sociologue Olga Gonzalès : « il exige des guérilleros l’adieu aux armes et la libération des otages de façon unilatérale ». En attendant, l’option militaire reste d’actualité. L’armée colombienne a d’ailleurs bombardé le week-end dernier 3 camps de rebelles présumés près de la frontière avec l’Equateur. Vingt-sept guérilleros auraient été tués. Pascal Drouhaud est l’auteur d’un livre sur les Farc (2). Ce spécialiste de la Colombie estime que le mouvement rebelle reste actif sur 50% du territoire, essentiellement au sud. La guérilla a essuyé ces dernières années plusieurs revers militaires. Les coups les plus durs ont été infligés par l’actuel président lorsqu’il était en charge des questions de sécurité. En 2008, Juan Manuel Santos avait supervisé l’opération « Jaque » qui avait abouti à la libération d’Ingrid Betancourt. L’ex-otage a d’ailleurs voté en juin dernier pour celui qu’elle appelle son « sauveur ». Quelques semaines plus tard, elle créait la polémique en Colombie en réclamant à l’Etat plus de 5 millions d’euros de dédommagement suite à son enlèvement. Ingrid Betancourt s’est vu décerner le « Prix de l’ingratitude ». Son livre reste un témoignage exceptionnel sur l’organisation des Farc et son calvaire personnel.
(1) « Même le silence a une fin » d’Ingrid Betancourt, Editions Gallimard
(2) « Farc : Confessions d’un guérillero » de Pascal Drouhaud, Editions Choiseul