« Ecoutez-moi, journalistes de la honte. Notre guerre a débuté contre la police et la gendarmerie, aujourd’hui c’est contre vous que nous annonçons la guerre. » Ainsi débute le message haineux de Kamel Zarouk, un ancien imam de Tunis, diffusé le 9 janvier, dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Ce cadre de l’organisation Ansar al-Charia appelle les cellules terroristes dormantes en Tunisie à mener une guerre contre les journalistes et les médias. Et de menacer de mort en les citant nommément les journalistes Naoufel Ouertani et Moez Ben Gharbia.
L'écriture et le dessin pour armes
Après les attentats meurtriers de Charlie Hebdo, ces deux journalistes, parmi d’autres, ont affirmé leur soutien à leurs collègues français. « Après les attaques terroristes à Paris, j’ai exprimé mon soutien aux journalistes français publiquement à la radio, raconte Moez Ben Gharbia. Et ce malgré le fait que je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils dessinent, avec les caricatures du prophète ». Le journaliste tunisien, animateur, producteur et directeur de chaîne de télévision, insiste : « On a les mêmes armes qui sont l’écriture et le dessin, en France comme en Tunisie, d’où mon soutien. On ne tue pas les journalistes ».
Le lendemain de son intervention, lui parvient la vidéo dans laquelle Kamel Zarouk, qui serait parti en Syrie rejoindre les jihadistes du groupe Etat islamique, appelle à son meurtre et à celui de ses collègues. Et ses collègues en Tunisie sont nombreux à avoir pris aussi cette position. « Tout le monde en Tunisie condamne d’ailleurs cet acte terroriste, poursuit Moez Ben Gharbia. On ne peut pas admettre que des innocents qui ont avancé leur opinion soient ainsi tués, de manière si barbare, et cela même si on n’est pas sur la même longueur d’onde que Charlie ! »
Depuis quelques jours, la présidence de la République tunisienne a accordé au journaliste une protection rapprochée. « J’ai deux gardes du corps qui assurent désormais ma sécurité », raconte Moez Ben Gharbia qui entend bien continuer son métier tel qu’il l’a toujours fait. Pour lui, mieux vaut dire adieu au journalisme plutôt que de s’autocensurer par peur.
Même pas peur !
Une peur qui pourtant ne cesse de s’accentuer depuis l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd le 6 février 2013. Au lendemain de ce meurtre, explique Moez Ben Gharbia, plusieurs journalistes ont ainsi reçu une protection du ministère de l’Intérieur. Et depuis trois ans environ, de nombreux journalistes tunisiens reçoivent des menaces pour avoir exprimé leur refus des extrémistes religieux. Des menaces qui prennent des formes différentes : lettres, appels téléphoniques, messages Facebook, etc. « Ces gens-là ont juste exprimé des opinions qui n’ont pas plu aux extrémistes tunisiens », renchérit l'animateur tunisien.
Des menaces croissantes envers les journalistes, il y en a en Tunisie mais aussi dans un grand nombre de pays à majorité musulmane. Reporters sans frontières dénonce d'ailleurs les violences, censures, pressions, menaces ou attaques physiques dont des médias ont été la cible à travers le monde, appelant « les Etats à tout mettre en œuvre pour protéger les journalistes ». RSF qui, au passage, a critiqué le fait que les diffuseurs s'imposent une autocensure en Tunisie et en Algérie, entre autres.
Le 12 janvier, le Centre de Tunis pour la liberté de la presse (CTLP) a lui aussi exprimé dans un communiqué sa vive inquiétude après les menaces proférées par Kamel Zarouk, un homme déjà inculpé dans plusieurs crimes et assassinats. « Ces menaces constituent un message fort dangereux et une pratique sans précédent », a notamment déclaré le CTLP. Sur les ondes de la radio tunisienne Mosaïque FM, le président du Syndicat national des journalistes tunisiens, Neji Bghouri a affirmé de son côté que les médias avaient lutté contre le terrorisme pendant la révolution et mis en garde contre le danger qu’il représentait. Selon lui, les journalistes tunisiens n’ont pas peur, ils luttent tous contre le terrorisme.