Who's who de la classe politique sud-africaine (1ère partie)

Ils s’appellent Jacob Zuma, Cyril Ramaphosa, Julius Malema, Helen Zille ou Mamphela Ramphele. A la tête du pays ou dans l’opposition, ils sont quelques-uns des principaux acteurs d’une vie politique riches en drames, en rivalités et en coups de théâtre.

La présidence entachée de Jacob Zuma

Le président sud-africain Jacob Zuma est candidat à sa propre succession. Son parti le Congrès national africain (ANC) est le grand favori des élections législatives du 7 mai, malgré la corruption et le népotisme qui n’ont cessé de brouiller l’image de ce mouvement auprès du grand public. Il est dont hautement probable qu’à 72 ans Jacob Zuma soit réélu par les députés pour effectuer un second mandat. L’homme est toutefois au cœur d’une tempête politique suite aux révélations portant sur l’abus des fonds publics utilisés pour rénover sa maison privée située dans son village natal de Nkandla. L’affaire Nkandla, devenue synonyme de la dégradation des mœurs politiques dans le pays de Mandela, est la dernière d’une série de scandales de corruption et de fraudes ternissant la longue carrière politique du chef de l’Etat sud-africain.

Entaché d’accusations et de procédures judiciaires, le premier mandat de Jacob Zuma n’a pas été brillant non plus en matière de réalisations économiques. Après vingt ans de démocratie, le pays connaît toujours un haut niveau de chômage et une croissance économique en berne. Arrivé au pouvoir en 2009 avec le soutien de la gauche radicale, le chef de l’Etat n’a pas tenu ses engagements de lutter contre la pauvreté dans les townships ni d’améliorer le niveau de vie des ouvriers. La répression sanglante par la police des mineurs en grève de la mine de platine de Marikana en août 2012 marque un tournant dans les rapports entre le pouvoir et la population dans l’Afrique du Sud post-apartheid.

Pour toutes ces raisons, la campagne pour les élections législatives de cette année n’a pas été pour le président-candidat une promenade de santé. Il a été sifflé et hué pendant les meetings. Lors d’une sortie électorale à Malamulele, dans la province de Limpopo, son cortège de voitures officielles a été poursuivi par des jeunes au cri de « Zuma sucks » (« Zuma craint »).

Mais Jacob Zuma est un fin politique. L’homme a toujours su rebondir, prenant de court ses adversaires. Son nom traditionnel « Gedleyihlekisa » signifie en langue zoulou l’homme qui broie ses ennemis avec le sourire aux lèvres. L’ancien président Thabo Mbeki qu’il a poussé à la démission en 2008, tout comme l’actuel vice-président Kgalema Motlanthe qui a concouru contre lui pour la présidence de l’ANC en 2012, en savent quelque chose.

Parti de rien – son père était agent de police et sa mère femme de ménage chez les Blancs –, JZ, le sigle par lequel le président se fait appeler par ses proches, fait encore l’objet d’admiration de nombreux Sud-Africains. La base de l’ANC lui reste attachée car elle n’a pas oublié le courage et la fidélité dont il a fait preuve dans les années sombres de l’apartheid. Jacob Zuma a rejoint l’ANC à l’âge de 17 ans et a dirigé les services de renseignement d’Umkhonto weSizwe, la branche armée du parti. Il a connu l’exil et fut l’un des premiers à revenir au pays après la légalisation de l’ANC. Il a participé au processus de négociations avec le pouvoir afrikaaner et a été le principal artisan de la paix dans la province du Natal menacée par les affrontements entre l’ANC et les Zoulous du puissant Inkatha Freedom Party. C’est parce qu’il sait magistralement tirer partie de ses réalisations passées que Zuma continue de dominer la vie politique sud-africaine, alors qu’à l’intérieur de son parti les critiques de sa gestion se font de plus en plus insistantes.

Cyril Ramaphosa, le joker de l’ANC ?

Pendant longtemps, Cyril Ramaphosa a été considéré comme le dauphin de Mandela qui le tenait en haute estime. Mais lorsqu’en 1999 l’ANC a choisi Thabo Mbeki pour

succéder au père de la nation, Ramaphosa s’est éloigné de la politique pour faire des affaires. Une reconversion qui lui a plutôt réussi car il est devenu l’un des hommes les plus riches du pays.

Profitant de la politique de Black Empowerment Economy (BEE) dont l’objectif est de promouvoir une élite financière noire, Ramaphosa, sexagénaire (né en 1952), a construit un vaste empire économique avec des intérêts dans l’énergie, les mines, la banque, les assurances, les télécoms et le fast-food. Il est le propriétaire des 145 restaurants McDonald’s d’Afrique du Sud ! Il siège aussi au conseil d’administration de Lonmin, la compagnie minière qui exploite la mine de platine à Marikana où la grève des mineurs d’août 2012 s’est soldée par la mort des grévistes abattus par la police. Paradoxalement, dans les années d’apartheid, l’homme se trouvait de l’autre côté de la barrière et s’était fait connaître comme un influent leader syndicaliste. A la tête du puissant syndicat national des mineurs (NUM) qui comptait 300 000 adhérents, il avait lancé en 1987 la plus grande grève de l’histoire de l’Afrique du Sud et avait fait trembler le pouvoir blanc de l’époque.

Malgré sa réussite dans les affaires, l’ancien syndicaliste qui fut secrétaire général de l’ANC entre 1991-1997, n’a pas perdu le goût de la politique. Il a continué à faire partie du Comité exécutif de l’ANC où son prestige en tant qu’avocat défendant dans les années 1980 la justice sociale et raciale demeure intact. Il a fait aussi partie de l’Assemblé constituante et a joué un rôle majeur dans la rédaction de la Constitution démocratique de l’Afrique du Sud post-apartheid. Devenu vice-président de l’ANC, Cyril Ramaphosa pourrait succéder à Jacob Zuma en 2019 ou même avant si l’ANC devait retirer la confiance à ce dernier miné par des scandales.

Les harangues populistes de Julius Malema inquiètent et fascinent

Il s’était coiffé de son béret rouge révolutionnaire pour le lancement en octobre dernier de son nouveau parti : les Combattants pour la liberté économique (Economic Freedom Fighters, EFF). En fin politique, il avait choisi la mine de Marikana comme lieu d’inauguration de son mouvement, où un an plus tôt la police avait ouvert le feu sur des mineurs en grève, tuant 34 d’entre eux. Dans son discours, il a appelé tous les déçus de l’ANC de rejoindre son parti qui propose de redistribuer les terres sans payer aucune compensation à leurs propriétaires blancs, et de nationaliser les mines et les banques.

Julius Malema, ancien leader de la Ligue de la jeunesse de l’ANC (Ancyl), veut faire de son parti le centre névralgique de la gauche radicale, anticapitaliste et anti-impérialiste de l’Afrique australe. Il y a deux ans, personne ne donnait cher de l’avenir politique de ce jeune tribun populiste qui s’est fait expulser de l’ANC en 2012 pour indiscipline et ses harangues haineuses à l’égard des Blancs. C’est Jacob Zuma, dont Malema fut autrefois un soutien inconditionnel, qui l’avait fait nommer à la tête de l’Ancyl, mais il est vite devenu un allié incombrant pour Zuma lorque celui-ci a accédé à la présidence de l’Afrique du Sud.

Depuis son expulsion, l’ancien chef de l’Ancyl est devenu un féroce détracteur du président Zuma dont il exploite avec talent les dérives et les erreurs politiques. Après la tragédie de Marikana, Malema s’était rendu au chevet des mineurs blessés et avait appelé à la démission de Zuma. Plus récemment, lors de l’éclatement de la polémique autour de l’argent public dépensé pour améliorer la sécurité de la résidence privée du président, Malema a fait les gros titres des journaux appelant à l’arrestation du chef de l’Etat pour vol et abus de fonds publics.

Malema est accusé, lui aussi, de truquage de marchés publics et de fraudes fiscales, mais pour les siens ses soucis judiciaires sont le fruit d’une conspiration du parti au pouvoir qui veut le discréditer. Aux yeux de ses partisans, le jeune leader des Combattants pour la liberté économique incarne une alternative à l’ANC de Jacob Zuma, gangrené par la corruption et le népotisme. Pour des millions de Sud-Africains démunis, son appel à la libération économique des Noirs fait éminemment sens.

Helen Zille et Mamphela Ramphele : une alliance prometteuse et prématurée

Rebondissement dans la campagne électorale : seulement cinq jours après l’annonce, l’accord historique de partenariat entre l’Alliance démocratique (DA), le premier parti

d’opposition à l’ANC et le jeune parti Agang fondé en 2013 par l’intellectuelle Mamphela Ramphele est tombé à l’eau. En invitant cette dernière à devenir la candidate de DA face au président Jacob Zuma, le chef de file de ce parti Helen Zille avait espéré donner une nouvelle crédibilité à sa formation, trop souvent taxée de « parti blanc ». Pour la fondatrice d’Agang (« construisons » dans la langue des Sotho), c’était une opportunité d’acquérir les moyens et la visibilité politique qui lui manquaient. Mais elle n’avait pas prévu les violentes critiques que ce rapprochement a soulevées au sein de son mouvement. L’accord s’est révélé prématuré entre ces deux femmes politiques qui se connaissent pourtant bien et s’apprécient.

Grande figure de la lutte anti-apartheid, Ramphele fut dans les années 1970 la compagne de Steve Biko, fondateur mythique du mouvement de Black Consciousness (« Conscience noire ») mort sous la torture à 31 ans dans les geôles de l’apartheid. Médecin et anthropologue, elle a également enseigné avant de devenir la première femme noire vice-chancelière de l’université du Cap. C’est aussi une femme d’affaires qui a siégé dans les conseils d’administration de grandes sociétés de son pays, avant d’accéder au poste de directrice générale de la Banque mondiale. A 65 ans, elle est entrée en politique en créant son propre parti politique. Elle entretient une amitié de longue date avec Helen Zille qui fut autrefois journaliste et avait à ce titre révélé les véritables circonstances de la mort de Steve Biko.

A la tête de l’Alliance démocratique depuis 2007, Helen Zille a transformé cette ancienne formation fondée par des Anglophones libéraux de Johannesburg et du Cap en un parti multiracial qui a récupéré les déçus de l’ANC, notamment au sein de la classe moyenne noire. Ses résultats électoraux sont en progression constante et son parti gouverne la province du Cap, une des neuf provinces que compte le pays. Ancienne maire du Cap, elle a su s’imposer comme l’interlocutrice principale de l’opposition face au tout-puissant ANC qui exerce le pouvoir à Pretoria depuis 1994. Elle dénonce l’arrogance, la mauvaise gouvernance de l’ANC, tout comme les pressions grandissantes exercées par le gouvernement sur les juges pour les empêcher d’inculper les leurs dans des scandales de corruption et de mœurs.

Ses adversaires veulent réduire la DA à une organisation de Blancs et de métis, alors que sous le leadership de Helen Zille, ce parti s’est activement engagé à créer des ponts entre les communautés. L’invitation faite à Mamphela Ramphele d’être la candidate présidentielle de la DA s’inscrivait dans la tentative de Zille de déracialiser les enjeux et les débats politiques. « C’est un moment historique, où nous allons rejeter l’excuse de la race, de la couleur de la peau pour forcer l’ANC à rendre des comptes sur ses résultats », avait déclaré Ramphele en proclamant à la presse son acceptation de l’offre de Helen Zille. La fin brutale de ce « mariage de raison » va certes bénéficier à l’ANC, mais l’accord n’en représente pas moins la première menace sérieuse à l’hégémonie politique du parti de Mandela. 

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