Rwanda: retour sur un «Twittergate» au pays du président digital

Le week-end dernier, un journaliste américain a été refoulé au Rwanda, officiellement parce qu'il avait été condamné aux Etats-Unis. Steve Terrill enquêtait sur un faux compte Twitter, @RichardGoldston, qui semblait très proche des autorités rwandaises. Une gaffe, le 6 mars dernier, avait révélé que ce troll était aussi l'un de ceux qui tenaient le compte officiel du président Paul Kagame.

Steve Terrill, journaliste américain, ancien correspondant de l’Agence France-Presse au Rwanda, s’est vu refuser l’accès au territoire rwandais le week-end dernier. Il préparait en freelance une série de reportages sur la 20e commémoration du génocide rwandais, depuis plusieurs semaines, pour le compte de trois médias dont USA Today. Steve Terrill y avait aussi donné rendez-vous à sa mère. « L’occasion, explique-t-il, de passer un peu de temps avec elle et de lui faire découvrir le pays. »

Steve Terrill est un « geek », il passe son temps sur Twitter. Ce réseau social est l’un des principaux outils de communication du régime rwandais. Le président lui-même est surnommé le « président digital ». Paul Kagame a près de 270 000 « followers ». Dans une interview datée du 4 novembre 2013 dans le magazine Wired, il vante les mérites de Twitter. « J’y apprends beaucoup, explique-t-il, parce que vous avez accès librement à une variété d’opinions aussi large que le monde entier. » Paul Kagame ajoute qu’il y découvre le point de vue de gens, les défis qui vont bien au-delà du Rwanda lui-même. Dans cet article, on apprend que le président rwandais a souhaité déconnecter son compte personnel de celui de la présidence pour pouvoir y exprimer ses propres opinions.

La plupart des membres du gouvernement rwandais tweetent aussi, certains avec plus d’assiduité que d’autres. De nombreuses déclarations officielles se font d’abord par ce canal. Quand l’Afrique du Sud expulse quatre diplomates rwandais (et un Burundais) accusés de mener des activités criminelles liées à des tentatives d'assassinats et même un meurtre d'opposants rwandais, c’est sur Twitter que la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, réagit. Le Rwanda ayant aussi expulsé en représailles six diplomates sud-africains.

→ À (RE)LIRE : Crise diplomatique entre l'Afrique du Sud et le Rwanda

Depuis plusieurs mois, le journaliste américain Steve Terrill accumule les informations sur la « twittosphère » rwandaise, qui est dominée par la communication gouvernementale... et des trolls. Les trolls sur Internet sont, comme dans l’imaginaire, des personnages malfaisants dont le seul but est de perturber les discussions. Ils insultent, ils humilient et se cachent souvent sous de fausses identités. A l’aide de toutes sortes d’outils en ligne, Steve Terrill compare la communication officielle du gouvernement du Rwanda avec celle, plus bruyante, des nombreux trolls du paysage rwandais sur Twitter. Il suit la création de « hashtags » (#), qui servent de système de référencement comme de mot d'ordre. Les derniers en date sont #BlameRwanda, pour critiquer toutes les prises de position hostiles au gouvernement rwandais, et #LessonsofRwanda, pour faire la promotion de tous les mérites du pays.

Un troll parmi d’autres l’intéresse au plus haut point : @RichardGoldston. Une identité fabriquée à partir du nom d'un juge sud-africain, auteur principal du rapport sur l’opération israélienne « plomb durci » contre Gaza et sur les tirs de roquettes contre des localités civiles israéliennes par le Hamas. Sa photo, @RichardGoldston, l’emprunte à Andrew M. Manis, un professeur américain qui a consacré une partie de ses recherches au mouvement des droits civiques aux Etats-Unis. Interpellé sur ce point, le troll explique non sans malice que Manis est l’un de ses héros personnels.

« L'exacte représentation que les détracteurs du Rwanda soupçonnent »

Sur son compte Twitter, @RichardGoldson dit de lui-même : « Je suis un descendant d’un impérialiste anglais. Je regrette toutes les actions menées par les politiques impérialistes en Afrique. Je me suis donné pour mission de laver ma conscience. » Ses bêtes noires sont multiples. Il accuse Human Rights Watch de payer ses témoins. Son directeur, l’ancien procureur Kenneth Roth, de mener contre le Rwanda une « vendetta antisémite ». L’organisation américaine de défense des droits de l’homme a multiplié les rapports ces deux dernières années accusant le Rwanda de soutenir le Mouvement du 23-Mars (M23), ce qui Kigali dément.

Pour la même raison, le groupe d’experts des Nations unies sur le Congo est raillé. @RichardGoldston accuse la Mission des Nations unies au Congo, la Monusco, de sympathiser avec les FDLR, les rebelles hutus rwandais dont certains dirigeants sont accusés par Kigali d'avoir participé au génocide de1994. Et le patron de la mission, Martin Kobler, de se comporter comme « un maire congolais » et pas comme un « employé onusien ». Le président sud-africain est, lui, traité de « retardé africain ». Ce troll se réjouit de le voir hué lors de la cérémonie au stade de Soweto en hommage à Nelson Mandela, ce que soulignait lundi 17 mars pour la première fois un journal en ligne sud-africain, le Daily Maverick.

En revanche, @RichardGoldston soutient sans réserve toutes les autorités rwandaises, mais aussi le M23. « Les tweets de Goldston sont l'exacte représentation des vues que les détracteurs du Rwanda soupçonnent Kigali d’avoir », affirme Steve Terrill.

→ À (RE)LIRE : Pourquoi l’Afrique du Sud a décidé de se fâcher avec le Rwanda

Au fil du temps, le journaliste américain remonte la « timeline » de ce troll, étudie son passé sur Twitter et le soupçonne de plus en plus de travailler à la présidence rwandaise. Steve Terrill estime même avoir identifié le compte d’origine, l’homme qui se cache derrière le troll. Du moins en est-il persuadé. Fort de ses découvertes, le 21 janvier dernier, il écrit au service de communication de Paul Kagame pour l’inciter à la vigilance et lui suggère de régler le problème en toute discrétion.

Ce qu’il explique à l’époque, c’est qu’il souhaite que l’odieux personnage s’arrête, mais qu’il ne souhaite pas l'exposer pour ne pas s'attirer les foudres du gouvernement rwandais et pouvoir se rendre au Rwanda pour réaliser sa série de reportages sur les commémorations du génocide. L’une des figures de la communication présidentielle, Yolande Makolo, lui répond en lui expliquant que « nombreux sont ceux qui sur Twitter assument toutes sortes d’identités », que le fait que toutes les autorités rwandaises suivent @RichardGoldston ne prouve finalement rien. « Steve, vous ne pouvez pas, avec un minimum de sérieux, reprocher au gouvernement du Rwanda de suivre quelqu’un qui n’utilise pas ses vrais nom et photo », lui explique-t-elle le jour même sans une once d’agressivité.

« La trahison a des conséquences »

Par la suite, @RichardGoldston se fait plus discret pendant quelques semaines. Steve Terrill pense avoir atteint son but. Mais le 6 mars dernier, il reprend du service, plus exubérant que jamais. Steve Terrill essaie de le calmer en le menaçant à mots couverts de révéler sa véritable identité et lui propose une conversation directe. Et à la surprise générale, ce n’est pas @RichardGoldston qui lui répond, mais le compte officiel de Paul Kagame : « Vas-y, héros, je n’ai reçu aucun e-mail, ni entendu mon téléphone sonner. » Une erreur probablement due à l'application TweetDeck, qui permet de gérer plusieurs comptes à la fois.

Le président n’avait pas tweeté depuis le 12 janvier. Ce jour-là, soit une dizaine de jours à peine après l’assassinat de son ancien chef des renseignements extérieurs - devenu critique acerbe -, Paul Kagame est à un déjeuner de prière. Il évoque pour la première fois l'affaire du moment, décrivant ce qu'il a pu suivre sur Twitter. Le président rwandais développe son point de vue pendant de longues minutes et avertit, sans jamais citer le nom de l'opposant assassiné Patrick Karegeya : « La trahison a des conséquences. » Accusé par un inconnu de « ne jamais avoir été autorisé à tuer », le compte du président rwandais répond : « Qui que tu sois, il faut que tu saches que quand / si tu décides de te battre et que les choses ne tournent pas en ta faveur, il ne faut pas crier à l'injustice. » C’est le dernier tweet présidentiel à ce jour.

Celui de Goldston / Kagame, évoqué plus haut, est quant à lui rapidement effacé. Mais plusieurs photos de ce mystérieux tweet circulent d’abord par e-mail, puis sur Twitter. Quelques heures plus tard, le compte @RichardGoldston est purement et simplement supprimé.

→ À (RE)LIRE : Mort de Karegeya, Kagame dément toute implication rwandaise

La « gaffe » peut révéler quelque chose de plus inquiétant, souligne un article en ligne du Washington Post, le premier à paraître sur le sujet. Le journal américain évoque un lien entre l'affaire et l'assassinat de Karegeya. Steve Terrill répond aux questions de son confrère américain Adam Taylor, puis à celles d’autres journalistes qui s’intéressent à ce que certains s’amusent à appeler le premier « Twittergate » rwandais. Mais à ce moment, il cache encore qu’il avait averti la présidence, persuadé que sa discrétion sera « remarquée ». Il espère en revanche que la médiatisation de l’affaire empêchera toute velléité de représailles.

C’est sur Twitter que le 8 mars, le compte officiel de la présidence du Rwanda finit par réagir : « @RichardGoldston était un compte non autorisé tenu par un employé de la présidence. Il a été supprimé et ce membre du personnel réprimandé. » Quelques jours plus tard, Steve Terrill réalise qu’il a été « bloqué » par le compte officiel de Paul Kagame. Il n’est plus autorisé à suivre de manière automatique les tweets du président rwandais. Les premiers à communiquer sur la « gaffe » subissent le même sort.

Le journaliste américain décide néanmoins de se rendre au Rwanda, mais se retrouve samedi dernier bloqué plusieurs heures à l’aéroport de Kigali par les services d’immigration. C’est encore par le biais de ce réseau social qu’il communique sur sa situation. Le compte de l’immigration rwandaise donne lui aussi sa version des faits. C’est parce que Steve Terrill a été condamné aux Etats-Unis qu'il a été refoulé, lit-on. Pour seule précision, le lien d’un article d’un journal local américain daté de mai 2012 est associé au tweet officiel. On y apprend que ce journaliste américain aurait été accusé par le FBI de trafic de drogue avec une trentaine d'autres personnes... Mais aucune trace d'articles plus récents sur la question, pourtant tout aussi facilement retrouvables sur le site du même journal.

Terrill « sait très bien pourquoi il a été expulsé »

Steve Terrill se débat. Sur Twitter toujours, il explique qu’il a été acquitté dans cette affaire, mais omet de dire qu’il a plaidé coupable et a été condamné en mai 2013 à deux ans de probation pour possession de stupéfiants, une simple infraction aux Etats-Unis. Pourtant, il y a quelques mois, lors d’une conférence de presse à Kigali, alors que Steve Terrill n’était même plus dans le pays, Paul Kagame avait lui-même, très curieusement, évoqué cette affaire, survenue à des milliers de kilomètres de son pays.

Depuis samedi, la « twittosphère » se divise entre ceux qui maintiennent que cette expulsion est liée à ses recherches et ceux qui défendent le droit du Rwanda à expulser n’importe quel étranger sans même avoir à se justifier. Interrogé sur la base légale de ce refoulement, le chargé de communication du service d’immigration du Rwanda explique que l’intéressé « sait très bien pourquoi il a été expulsé » et que pour en connaître la raison, il suffit de consulter Twitter.

Partager :