Jason Stearns: après l'échec de ce lundi 11 novembre, «la médiation a une part de responsabilité»

Cela avait été annoncé par le facilitateur ougandais la semaine dernière, la communauté internationale avait fait le déplacement et pourtant, pas d'accord signé à Kampala entre le gouvernement congolais et l'ex-rébellion du Mouvement du 23 mars (M23). Un report sine die. Pourquoi ? C'est ce que Sonia Rolley a demandé à Jason Stearns, chercheur sur le Congo et directeur du programme Oussalama qui étudie les groupes armés dans l'est du Congo.

RFI : Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’accord signé à Kampala ?

Jason Stearns : Il faut rappeler que le contexte était assez particulier. Le gouvernement congolais devait signer un accord avec un mouvement qui n’existe plus que sur le papier parce que ce dernier a été défait. C’était donc un défi énorme pour la médiation de conclure un accord. Sur le fond, le problème était assez simple. Mais les deux côtés ne sont pas arrivés à se mettre d’accord sur le titre. Tout le problème se résume au titre ! Le gouvernement congolais ne voulait pas signer un « accord » mais seulement une « déclaration » où ils résumaient les principes sur lesquels il s’était mis d’accord avec l’autre côté. Alors que de son côté le M23 insistait sur le mot « accord ».

Mais alors pourquoi avoir convoqué une réunion pour signer un accord de paix? A qui la faute ?

Difficile à dire. Mais j’ai l’impression que la médiation a une part de responsabilité. Notamment les médiateurs ougandais qui étaient les premiers responsables de la rencontre, mais aussi les envoyés spéciaux, qui, par leur présence, soutenaient et poussaient Mary Robinson, l'envoyée spéciale des Nations unies, et Russel Feingold l’envoyé spécial des Etats-Unis, vers un accord. Ils pensaient qu’il y allait avoir un accord. Il y avait même une cérémonie d'envisagée pour signer l’accord. Et une fois arrivée la cérémonie, c’était clair qu’il existait un problème de communication entre les deux côtés, des malentendus. De par la faute de la médiation.

Le texte en lui-même comprend 11 points. Les deux parties s’étaient mises d’accord sur ces 11 points depuis bientôt deux semaines déjà. Pourquoi se crisper sur une question de sémantique ?

Le désir d’avoir un accord venait surtout de la médiation et des envoyés spéciaux. Ils voulaient absolument avoir quelque chose à travers lequel ils pouvaient clôturer le processus de Kampala. Ils voulaient avoir un papier qui pouvait dire : « Voilà, le résultat de tous nos efforts, de toutes nos dépenses ». Même chose pour les envoyés spéciaux. Sur le fond, il était aussi très important de reconnaître le statut de chacun, et des anciens du M23 qui se trouvent maintenant dans les camps des forces de l’armée congolaise et des Nations unies. Il était aussi important de créer un processus à travers lequel on pouvait faire un suivi de l’intégration du M23, mais aussi sur les dossiers sur lesquels les deux côtés s’étaient mis d’accord, comme le rapatriement des réfugiés au Rwanda (des réfugiés surtout tutsis congolais au Rwanda), les suppurations contre les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda ndlr], et plusieurs autres dossiers.

Les Congolais ne veulent pas signer parce qu’il y a beaucoup de pression à Kinshasa pour que le gouvernement ne signe pas d'accord. D’abord, ils se demandent pourquoi ils sont encore à Kampala s’ils ont gagné militairement contre le M23. Pourquoi persister à négocier avec ces gens ? Même signer une déclaration, pour beaucoup de monde à Kinshasa, c’est trop. Par contre, pour le M23, il s'agit de ne pas donner une victoire diplomatique en plus de la victoire militaire au gouvernement congolais. A part cela, je ne vois pas de raison pour laquelle le M23 s'obstinerait à refuser de signer.

Que vont devenir les ex-rebelles du M23 qui se trouvent en Ouganda, au Rwanda et au Congo ?

Il y a plus de 600 soldats qui sont au Rwanda depuis avril 2013, date d'une dissension au sein du M23. Une partie des officiers proches de Bosco Ntaganda s’étaient enfuis vers le Rwanda. Depuis lors, il se trouvent dans un centre de cantonnement au Rwanda. D’après le gouvernement ougandais, il y a 1 700 soldats chez eux, dans un camp militaire, ce qui est contesté par le gouvernement congolais mais c’est ce que Kampala dit. Au Congo, nous savons qu’il y a à peu près 400 soldats du M23 qui se sont rendus aux autorités congolaises, et qui se trouvent dans un camp militaire congolais. Il y en a plus de 100, peut-être 150 qui sont dans les mains des Nations unies. Au total, on arrive presque à 3 000 soldats, dont le statut est maintenant un peu difficile et incertain du fait qu'aucun accord n'a été signé.

Ce non règlement du cas ou du statut particulier des ex-rebelles du M23, est-ce que vous pensez que ça peut être source de conflit à l’avenir ?

Une source de conflit diplomatique, certainement. Un conflit militaire, c'est peu probable. Mais il est important quand même que ce soit réglé pour que ça ne crée pas aussi des doléances et encore davantage de problèmes entre les communautés. La plupart des troupes sont des rwandophones, soit des tutsis ou des hutus. Les officiers, eux, sont des tutsis : il est important de régler ce problème.

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