RFI : Vous avez suivi ce très long procès. La confirmation en appel du verdict de cinquante ans est-elle une surprise pour vous ?
Bram Posthumus : Pas vraiment. La responsabilité de Charles Taylor était déjà clairement et largement établie, lorsqu’il était président du Liberia, pour les crimes commis en Sierra Leone, le pays voisin. Il était par conséquent très difficile d’imaginer un autre résultat.
Alors justement, quels ont étaient les éléments déterminants ? Des témoignages ?
Les témoignages, bien sûr, mais aussi et surtout l’intérêt des deux bailleurs de fonds du tribunal, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Depuis des années, ils ont pour politique de mettre M. Taylor hors d’état de nuire, dans la région et dans le monde entier.
Parce que son intervention, son implication, ne concernait pas uniquement la Sierra Leone ? On parlait de connexions régionales ?
On a tenté par exemple de connecter M. Taylor avec le réseau international al-Qaïda, à travers la vente de diamants extraits en Sierra Leone et revendus dans la capitale du Liberia, Monrovia. De toute façon, c’était absolument nécessaire de mettre ce Monsieur hors d’état de nuire pour bien longtemps. Rappelez-vous, la procureure s'était même prononcée pour une peine de quatre-vingts ans de prison, mais au final sa peine sera d'un demi-siècle.
C’est une page de l’histoire qui a été jugée, mais c’est aussi un homme, et un homme qui n’a montré aucun regret ?
Il a d’abord fait cette grande litanie de démentis, affirmant qu’il n’avait jamais eu ces diamants, qu’il n’avait rien à voir avec ce qui se passait en Sierra Leone. Il s'est également auto-attitré « apôtre de la paix », soutenant qu'il n’était pas là pour mener la guerre. Donc il a toujours nié son rôle néfaste dans la sous-région et a toujours déclaré qu’il avait toujours voulu le bien pour son pays et pour ses voisins.
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Reste-t-il encore des suspects à juger ?
Il reste beaucoup de suspects à juger, ce sont ses collègues au plus haut niveau libérien. Mais il y a une autre chose qu’il faut souligner, c’est-à-dire qu’il y a aussi un perdant dans tout ce processus et ça, c’est le peuple libérien. Le peuple libérien qui a vécu pendant plus de huit ans une guerre, qui a été suivie par une présidence néfaste. Pour le moment, ils ont été privés de l’occasion de voir leur ancien chef condamné par leur justice.
Parce qu’il y a eu une sorte d’accord de réconciliation qui, justement, a permis à Charles Taylor d’éviter tout procès ?
Ce n’est pas tout à fait ça. La Commission vérité et réconciliation libérienne a également conclu que Charles Taylor devait passer devant la justice libérienne. Mais avec ce cas maintenant, s'agissant du tribunal spécial pour la Sierra Leone, il est très difficile d’imaginer comment les Libériens eux-mêmes peuvent faire le deuil de ce qui s’est passé dans leur propre pays.
Il existe aujourd’hui d’autres conflits. On pense notamment à la République démocratique du Congo (RDC), la Centrafrique ou même la Syrie, avec des exactions, des crimes, et le soutien logistique ou diplomatique de l’étranger. Ce type de procès peut-il faire craindre des conséquences pénales à ceux qui soutiennent les actes de barbarie ?
Pas forcément, parce qu’il y a énormément d’exemples où des crimes restent impunis, y compris pour ce qui concerne l’est de la République démocratique du Congo. Rappelons qu’avec M. Taylor, il s’agissait d’un tribunal spécialement établi pour ce cas. Mais si l'on prend le cas de la Cour pénale internationale (CPI), qui ne traite plus que des cas de crimes de l’humanité en Afrique, il faut reconnaître que, parmi les Africains et leurs leaders, il y a une irritation grandissante.
Ils pensent non seulement qu’ils sont ciblés par la CPI pour des crimes, alors que d’autres ne le sont pas, mais ils sont également persuadés que le choix de ces cibles est sélectif. Par exemple el-Béchir, le président du Soudan, est poursuivi mais toujours en liberté, alors qu'Idriss Déby, du Tchad voisin, lui, n’est pas poursuivi. Et il est difficile de penser quelles sont les différences entre les crimes commis par ces deux chefs d’Etat et pas mal d’autres aussi.
Comme les responsables kényans ? A l'instar du vice-président, qui a pu rentrer chez lui alors qu’il était en plein procès devant la CPI ?
Exactement. Et il y avait besoin d’un incident assez grave, comme ce qui vient de se passer à Nairobi, pour bouleverser tout ce processus.
Le président du tribunal qui jugeait Charles Taylor, a dit que cette condamnation marquait « une nouvelle ère de responsabilité ». Il prône l’exemplarité des dirigeants. N’est-ce pas un vœu pieux ?
C’est un vœu pieux, car il n’y a pas de garantie absolue que des crimes commis dans un pays africain, par un leader africain, seront punis. Ça dépend d’autres variables, de géopolitique, de politique intérieure, qui vont décider si un crime restera puni ou impuni.
Et précisément, est-ce qu’on ne demande pas à la justice internationale de réparer ce que la pression diplomatique est incapable d’éviter ?
C'est effectivement le cas. Au final, la dynamique de ce qui se passe dans un pays, c’est une dynamique locale. Si on prend l'exemple de ce qui s'est passé en Guinée, avec le massacre du 28 septembre dans le stade de Conakry, cela montre encore une fois que la capacité internationale de tirer les choses dans un sens positif, reste très limitée.