Maurice-France : liaisons littéraires

Aux siècles derniers, les maisons d'édition françaises ont fait connaître au grand public les pionniers de la littérature mauricienne. La tradition se poursuit avec Gallimard et L'Olivier qui publient quelques-uns des auteurs mauriciens contemporains les plus importants.

Comme un grand nombre des pays du Sud, l’Ile Maurice souffre d’un manque problématique d’infrastructures culturelles. Nulle part cette déficience n’est peut-être plus criante que dans le domaine littéraire, comme on a pu le constater pendant le récent Salon International du Livre de Pailles (à Port-Louis, du 07 au 10 mars) où les seuls éditeurs à prendre la parole étaient des éditeurs … parisiens.

Les liens privilégiés entre l’édition française et les auteurs mauriciens ne datent ni d’aujourd’hui ni d’hier. Il ne serait guère exagéré d’affirmer que s’il existe à Maurice une littérature de langue française de qualité, c’est en grande partie grâce aux éditeurs de France et de Navarre qui ont publié les grands pionniers des lettres mauriciennes tels que Jean Blaize (édité en France au XIXe sicèle ) , Malcolm de Chazal (Gallimard), Jean Fanchette (Buchet-Chastel), Loys Masson (Seghers, Gallimard, Laffont), Marie-Thérèse Humbert (Stock), Edouard Maunick (Actes Sud, Présence Africaine). La tradition se poursuit avec les écrivains contemporains qui sont publiés pour l'essentiel par des éditeurs parisiens, notamment par Gallimard qui accueille l’œuvre singulière d’Ananda Devi dans sa prestigieuse collection « Blanche », mais aussi le jeune romancier montant Amol Sewtohul, publié dans la collection « Continents noirs » (1). Mais, c’est peut-être avec les éditions de L’Olivier qui ont révélé au grand public francophone quelques-uns des auteurs les plus talentueux de la jeune génération de romanciers de l’île (2) que s’écrit une nouvelle page des lettres mauriciennes.

Nouvelles voix

Créée en 1991, l’Olivier est une maison d’édition française, spécialisée en littérature nord-américaine. Fin connaisseur lui-même de cette littérature, son fondateur Olivier Cohen a fait connaître au public français quelques-uns des romanciers américains vivants les plus connus : Raymond Carver, Richard Ford, Cormac McCarthy, Jay McInerney, Armistead Maupin. Parallèlement à cette politique de traduction de grands auteurs anglo-saxons, l’éditeur parisien a développé un catalogue français et francophone qui privilégie de nouvelles voix, avec des sujets résolument inscrits dans des problématiques contemporaines, sociales ou personnelles.

L’aventure mauricienne de L’Olivier a commencé avec sa découverte de Bénarès de Barlen Pyamootoo. Initiatique et subtil, ce roman raconte la dérive sociopolitique de l’île Maurice à travers le récit des 400 coups de ses personnages partis chercher une prostituée pour passer agréablement la nuit. Son écriture sans emphase et sans exotisme a conquis l’équipe éditoriale de L’Olivier. « Nous avions reçu le manuscrit de Bénarès par courrier, explique Laurence Renouf, éditrice de littérature française. Le livre m’a surprise à cause de la simplicité déconcertante de son intrigue. J’ai aussi été enthousiasmée par l’univers de Barlen et par la voix de cet écrivain au débit si hypnotique ! » Les éditions de l’Olivier publient Bénarès en 1999. Elles publieront aussi deux autres romans du même auteur : Le Tour de Babylone en 2002 et Salogi’s six ans plus tard.

« Mauricianité »

Entre 2000 et 2012, le même éditeur a publié huit autres romans, sous la plume des auteurs mauriciens. Il s’agit de Carl de Souza, Bertrand de Robillard, Shenaz Patel et la dernière arrivée Nathacha Appanah. Ce sont des auteurs de sensibilités très différentes, mais dont l’écriture forte et complexe, mêlant le personnel et l’historique, correspond à l’esthétique moderniste que cherche à promouvoir l’éditeur parisien. « Ces auteurs qui écrivent en français, explique Laurence Renouf, font partie du catalogue français de L’Olivier. Ils sont commercialisés comme n’importe quel écrivain de langue française. A L’Olivier, nous ne séparons pas les auteurs selon leur provenance géographique, contrairement à ce qui se pratique dans d’autres maisons d’édition. »

Peut-on tout de même parler d’une spécificité littéraire mauricienne ? Une spécificité qui serait essentiellement d’ordre linguistique, au dire de l’éditrice parisienne. « Certes, ils parlent tous de Maurice, leurs personnages sont Mauriciens, mais c’est leur approche de la langue, déterminée par le multilinguisme mauricien, qui les distingue, explique Renouf, des écrivains français. Les Mauriciens sont tous au moins trilingues, aussi leur langue d’écriture, en l’occurrence le français, est-elle nourrie par d’autres langues : anglais, créole, les langues indiennes. Cela produit un léger déplacement de sens qui est peut-être ce que les écrivains mauriciens ont en commun. »

Ils ont aussi en commun d’appartenir a une population culturellement très dynamique. « La vraie question à poser est, dit Laurence Renouf, comment se fait-il qu’avec une population de seulement 1,3 million, ce pays compte tant de bons romanciers et poètes ? » Ce serait cela la véritable spécificité de Maurice, selon l’éditrice française réellement fascinée par le formidable potentiel littéraire local qu’elle a eu l’occasion de mesurer à travers des ateliers littéraires auxquels elle assiste régulièrement sur l’île.

(1) Les éditions Gallimard ont publié :

Soupir (2002), Le Long Désir

(2003), La Vie de Joséphin le Fou (2003), Eve de ses décombres (2006), Indian Tango (2007), Le sari vert (2009) , Les Hommes qui me parlent (2011) et Les jours vivants (2013) d’Ananda Devi, et, dans la collection « Continents noirs », Histoires d’Ashok et d’autres personnages de moindre importance (2001), Les voyages et aventures de Sanjay, explorateur mauricien des anciens mondes (2009) et Made in Mauritius (2012) d’Amol Sewtohul.

(2) Les Editions de l’Olivier ont publié :
Le dernier frère (2007) de Nathacha Appanah, Sensitive (2003) et Le Silence des Chagos (2005) de Shenaz Patel, Bénarès (1999), Le Tour de Babylone (2002) et Salogi’s (2008) de Barlen Pyamootoo, L’Homme qui penche (2003) et Une interminable distraction au monde (2011) de Bertrand de Robillard, Les Jours Kaya (2000), Ceux qu’on jette à la mer (2001) et En Chute libre (2012) de Carl de Souza.

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