Il a fallu une grève et beaucoup de violence pour en arriver là : une centaine d’arrestations, des blessés, au moins un mort. Au mois de novembre 2012 les travailleurs agricoles se sont révoltés. Dans les paysages idylliques du Cap-Occidental, dans une région agricole très riche, entre les vignes et les vergers, on a vu brûler des pneus, on a dressé des barricades, la police a tiré à balles en caoutchouc. Finalement, le 4 février dernier, le gouvernement a décidé d’augmenter le salaire minimum. Comme souvent en Afrique du Sud, la grève a pris un tour violent. Il faut dire que peu d’ouvriers agricoles sont syndiqués, moins de 10%. Sur les 683 000 ouvriers employés dans l’agriculture (le plus gros employeur du pays), beaucoup sont des saisonniers, et beaucoup des travailleurs migrants, venus souvent des pays voisins.
Depuis des années la situation pourrissait, « les travailleurs agricoles ont été oubliés, reconnaît Katishi Masemola, le secrétaire général du syndicat FAWU, la branche de la Cosatu qui réunit les travailleurs agricoles. Pas seulement par le gouvernement mais par les syndicats eux-mêmes. Parce qu’il est difficile d’organiser ces catégories de travailleurs. Ils ont vraiment obtenu cette augmentation d’eux-mêmes ». Aujourd’hui, la plupart se disent satisfaits des nouveaux salaires.
Une augmentation insoutenable selon les fermiers
Ce n’est pas le cas des fermiers, qui estiment que l’augmentation est trop importante. D’autant qu’ils doivent aussi faire face à l’augmentation du prix de l’eau, de l’électricité, et que certains d’entre eux ne font pas des marges très importantes quand ils vendent leur production à la grande distribution. « Les fermiers ont expliqué que la plupart d’entre eux, surtout ceux qui ont recours à une main d’œuvre importante, ne peuvent pas se permettre de payer de hauts salaires, explique Elize Van Der Westhuisen , responsable des relations du travail au sein de AgriSa, le principal syndicat agricole sud-africain. Une augmentation de 52% comme nous l’avons vue est vraiment inabordable, quel que soit l’employeur. Alors ils ont été très choqués ».
Il faut noter que l’agriculture en Afrique du Sud n’est pas un secteur homogène. Il y a des différences de taille, bien sûr, et puis il y a des exploitations qui exportent vers l’Europe, et qui en général pour continuer à exporter doivent apporter des garanties en matière de conditions de travail et de salaires. Il y a les fermes qui produisent des fruits et des légumes, très gourmandes en main d’œuvre. Celles qui travaillent pour le marché local, où la concurrence est rude.
La réforme ne s’appliquera d’ailleurs pas à tous les fermiers : s’ils peuvent prouver que les hausses de salaires menaceraient la survie de leur exploitation, les fermiers n’auront pas à verser ce nouveau salaire minimum. Déjà, Elize Van Der Westhuisen affirme qu’elle a déposé plus de 300 demandes d’exemptions de la part des fermiers de la province du Cap-Occidental. « Et le phénomène est identique dans les autres provinces, poursuit-elle. Beaucoup de fermiers vont demander à être exemptés de ce nouveau régime, à travers tout le pays. Dans la province du Limpopo, où les exploitations emploient beaucoup de main d’œuvre, beaucoup de fermiers ont déjà dit qu’ils ne pourraient pas attendre de savoir s’ils seraient exonérés, et ils ont déjà commencé à licencier, beaucoup de ces fermiers ».
Au-delà des salaires, les conditions de vie sont difficiles
En cas de licenciements, ce salaire minimum pourrait ne pas se révéler une si bonne affaire pour les travailleurs agricoles mais la crise a au moins permis de prouver qu’il fallait compter avec les travailleurs agricoles. Cela oblige les syndicats, les organisations professionnelles de fermiers et le gouvernement à discuter, parce que, comme bien souvent en Afrique du Sud, il ne s’agit pas que d’un problème de salaire. « Il ne s’agit pas seulement de salaire et de conditions de travail, dit Katishi Masemola, le secrétaire général de FAWU. Le plus important ce sont peut-être les conditions de vie. Les travailleurs agricoles vivent dans de très mauvaises conditions et cela a un impact sur leur relation avec leur lieu de travail. Et tout cet aspect social doit aussi être réglé, soit par le gouvernement soit par un partenariat entre le gouvernement et les fermiers ». Accès aux toilettes, accès à l’électricité, accès à l’école : voilà quelques-uns des défis que devra relever le secteur à l’avenir.