Tunisie: la faillite sécuritaire du gouvernement évolue en crise politique

Trois jours après l'attaque de l'ambassade américaine de Tunis, vient le temps des questions et des critiques. Plusieurs médias et des responsables politiques évoquent des dysfonctionnements et un dispositif sécuritaire insuffisant, surtout au lendemain de l'attaque du consulat américain de Benghazi. Mais Tunis refuse d'admettre des défaillances.

Pour beaucoup de Tunisiens, l’incompréhension est totale. Comment la police tunisienne si redoutée sous Ben Ali a pu se laisser déborder à ce point par des manifestants ?

Le jour de la manifestation, les voies d'accès à l'ambassade n’étaient pas toutes bloquées et les manifestants ultra-déterminés n'ont aucun mal à encercler le bâtiment. En face les policiers, en sous-effectifs, sont rapidement trouvés à court de gaz lacrymogènes et incapables de contenir les assauts et les jets de pierres, et de sécuriser les quatre murs de l'ambassade.

Les renforts militaires arrivent trop tard et lorsque les forces antiémeutes, blindés et hélicoptère, se concentrent sur l'entrée principale, des centaines de jeunes islamistes franchissent le mur de derrière avec des échelles. Au final, 70 voitures et une école ont été incendiées, le drapeau noir de l'islam radical a été hissé à l’intérieur de l'ambassade où étaient retranchés l'ambassadeur et des dizaines d'employés protégés par des soldats américains.

De 15 heures à la tombée de la nuit ce vendredi 14 septembre, la police est submergée et sans ordre d'intervenir fermement dira un capitaine. Pourtant les appels à manifester circulaient depuis 24 heures sur toutes les pages internet et réseaux sociaux jihadistes.

Une attitude irresponsable selon l’opposition qui demande des comptes

Malgré les quatre morts et les dégâts matériels, le ministère de l’Intérieur n’a émis aucune autocritique. Il n'y a eu ni faute, ni erreur d'analyse, selon son porte-parole, Khaled Tarrouche : « Notre dispositif était adéquat pour un rassemblement pacifique, or il y a eu des débordements ».

Pour Faouzi Charfi, membre du secrétariat national du parti d’opposition El- Massar, le ministre de l’intérieur Ali Larayed doit assumer sa part de responsabilité dans la réponse inadéquate opposée aux salafistes vendredi et démissionner : « On demande au gouvernement de faire au moins son mea culpa sur son manque de prévision et comme dans tout pays démocratique, quand il y a une défaillance sécuritaire de cet ordre-là, la moindre des choses serait que le ministre de l’Intérieur ait le courage de présenter sa démission ».

Passivité ou complaisance d'Ennahda à l'égard des salafistes

Plusieurs formations politiques dénoncent aussi une passivité complice de la part du parti au pouvoir Ennahda -dont est issu Ali Larayedh- face aux salafistes ces derniers mois.

Sélim Ben Abdesselem est député et vice-président du groupe parlementaire d’Ettakatol, partenaire d’Ennahda au sein de la coalition gouvernementale. « S’agissant des groupes salafistes qui sont à l’origine de ces actes... que des gens-là fassent la loi c’est absolument inadmissible. Aujourd’hui, il n’y a pas de complaisance à avoir avec ces gens qui ont montré qu’ils pouvaient être violents. S’il n’y a pas de bilan clair de la politique sécuritaire, il faudra en tirer les conséquences : cela pourrait être soit une sortie de la coalition, soit la démission du ministre chargé de ce dossier ».

Le ministère, qui se félicite de l’arrestation de soixante douze personnes impliquées dans les affrontements et le saccage de l’ambassade, a finalement admis dimanche que la police s’était rendue au domicile du chef salafiste Abou Iyadh vendredi soir, pour ne trouver personne.

« Nous recherchons tous ceux qui ont été impliqués de près ou de loin dans les violences », a indiqué à RFI le porte-parole du ministère de l’Intérieur, comme s’il souhaitait minimiser la portée d’une opération contre un homme populaire chez les salafistes.

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