Egypte: «le nouveau gouvernement reflètera plusieurs sensibilités», selon Denis Bauchard

Au lendemain de l’élection de Mohamed Morsi à la présidence égyptienne, la presse locale titrait ce lundi 24 juin 2012 : « La révolution arrive au palais présidentiel », ou encore « Le premier président civil d’Egypte ». Denis Bauchard, conseiller spécial pour le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales, a notamment signé Le nouveau monde arabe, publié aux éditions André Versaille. Il livre son analyse sur l’élection du candidat des Frères musulmans.

RFI : Denis Bauchard, vous êtes conseiller spécial pour le Moyen-Orient à l’Institut français des relations internationales. Que retient-on de l’élection présidentielle égyptienne ? Qui a gagné, un civil ou un islamiste ?

Denis Bauchard : C’est à l’évidence un civil et un islamiste. Ce sont les deux qui ont gagné mais dans un processus qui est loin d’être terminé, parce que Mohamed Morsi est effectivement élu président de la République, ce qui est un événement historique dans l’histoire de l’Egypte. Cependant, on ne sait pas encore très bien encore quels seront ses pouvoirs, puisque le Conseil suprême des forces armées a décidé il y a une semaine de pratiquement vider de ses compétences les fonctions de président de la République. Donc, il y a encore beaucoup de choses à préciser, et sans doute beaucoup de choses à discuter entre les Frères musulmans et l’armée.

RFI : Justement, un des premiers signes sera le choix des hommes dont va s’entourer le nouveau président, c'est-à-dire le vice-président, le Premier ministre. Comment pourrait-on interpréter ces différentes nominations ?

D. B. : Effectivement, Mohamed Morsi va mettre en place un gouvernement qui sera sans doute un gouvernement de coalition, puisque même si les Frères musulmans ont eu une victoire écrasante aux élections législatives, elles n’ont pour l’instant pas débouché puisqu’une autre déclaration constitutionnelle a entaché de légalité ces élections. Là aussi, on est un peu dans le flou.

Je pense que le nouveau gouvernement reflètera plusieurs sensibilités, d’abord au sein des Frères musulmans. Je pense aussi que Mohamed Morsi souhaitera également nommer, par exemple, un copte ou des personnalités plus laïques et qui étaient parmi les premiers révolutionnaires de la Place Tahrir, dans le souci de représenter tous les Egyptiens.

RFI : Arrêtons-nous sur les toutes premières déclarations du président élu. Il y a eu des déclarations à l’international en direction de l’Iran, et puis sur le plan intérieur. Il y a notamment cette déclaration sur la décision du Conseil suprême des forces armées, qui avait en quelque sorte supprimé le pouvoir du Parlement.

D. B. : Ces déclarations sont effectivement importantes. Celle sur l’Iran n’est pas tout à fait une nouveauté, parce que les gouvernements provisoires lui avaient déjà adressé quelques signaux positifs, qui se sont succédés depuis l’année dernière, depuis le début de la révolution mais qui ne se sont pas concrétisés.
A mon sens, je ne crois pas qu’il faille attacher trop d’importance à ces déclarations, qui devront être naturellement confirmées. Ce qui est sûr, c’est que l’Egypte n’entretiendra pas avec l’Iran les relations tendues qu’elle avait du temps de Moubarak.

Concernant le Parlement, qui a été en quelque sorte dissous par le Conseil supérieur des forces armées, il doit être constitué. Comment ? Est-ce qu’il va y avoir de nouvelles élections ? Je pense qu’il y aura - qu’il y a sans doute - des discussions avec le Conseil supérieur des forces armées pour voir comment sortir de cet imbroglio juridique. Peut-être qu’une nouvelle déclaration constitutionnelle pourrait, en quelque sorte, compenser et revenir sur ce qu’a dit la précédente déclaration du Conseil constitutionnel.

RFI : Une autre inconnue très importante, puisqu’elle a, celle-là, des répercussions internationales, est la future relation qui va s’établir avec le voisin israélien.

D. B. : Absolument. Il y a eu, effectivement, des déclarations ambiguës, tout d’abord avant le premier tour des élections et plutôt pour rassurer Israël. Ensuite, entre les deux tours, sans doute pour essayer de rassembler le maximum d’électeurs, Mohamed Morsi a fait des déclarations nettement plus dures, laissant entendre que le traité de 1979 pourrait être remis en cause.

Ceci étant, je pense que la première priorité d’un nouveau gouvernement islamiste est plutôt de s’attaquer aux problèmes immédiats que connaît actuellement la population égyptienne, c'est-à-dire le problème de l’emploi, celui de l’accueil des touristes. Il pourra déployer son énergie plutôt dans ce domaine que dans celui des relations avec Israël, qui reste tout de même un problème fondamental, mais qui ne sera pas pressé, à mon sens, dans un premier temps.

Partager :