RFI: Depuis une semaine, Viva Riva ! est sorti en salles en France. Auparavant il a connu un grand succès un peu partout : Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, Belgique, et dans 18 pays en Afrique, où il a remporté six « Oscars » de l’Académie du Cinéma africain. Est-ce qu’on peut parler d’un film-phénomène ?
Djo Tunda wa Munga : On constate qu’il y a quelque chose qui se passe avec ce film. Pas seulement du point de vue des critiques classiques du cinéma, mais aussi des critiques africains et au niveau du public. Il y a une reconnaissance qui dit : voilà un film qui nous parle, qui nous ressemble. La sortie du film en France et l’ampleur de la réception m’ont beaucoup surpris. On est au début…
RFI : Quelle est la différence entre la réception du film en République Démocratique du Congo et en Belgique ou en France ?
D.T.W.M. : Justement, il n’y a pas de différence ! En Belgique, le film a fait aussi de très beaux chiffres, mais dans les salles il y avait beaucoup Africains. Cela m’a beaucoup surpris. Par rapport au cinéma africain, il y a toujours une distance ou une méfiance du public. Je le comprends, parce que souvent on montre une Afrique en marge où les gens ne se retrouvent pas. Là, les gens sont venus. En France, il semble se passer la même chose. Mais il n’y a pas que les Africains. Il y a aussi le reste des cinéphiles qui vont voir le film. Les gens viennent simplement pour le cinéma.
RFI : Avoir tourné le film en lingala, la langue la plus parlée en République Démocratique du Congo, et non pas en français, qu’est-ce que cela a changé ?
D.T.W.M. : Un cinéaste est aussi un peu l’ambassadeur de sa culture. On n’avait pas de film au Congo depuis 25 ans. On n’avait pas eu de films tournés dans notre langue nationale. Symboliquement, c’était important d’avoir un film dans une des langues locales.
RFI : Viva Riva ! est un portrait de Kinshasa. Un polar habité par une très grande violence, avec des scènes de sexe à tous les étages et dominé par un cynisme inouï. C’est ça Kinshasa aujourd’hui ?
D.T.W.M. : C’est cela le Congo aujourd’hui. Et c’est cela aussi ce qu’on voit dans pas mal de pays africains. A la fin de la dictature dans mon pays, on est entré dans une guerre, pendant les années 1990, il y avait une grande crise économique. Il y avait un climat où toutes les valeurs morales ont disparu. Le tissu social a éclaté. La crise économique a fait que les gens ont commencé à survivre. Vous mettez tout cela ensemble et cela créé un cocktail où l’environnement est exécrable et où il y a une violence urbaine. Pour dresser ce portrait de Kinshasa, je voulais aussi parler des 15 dernières années. La chute de la dictature était un moment extrêmement violent dont on n’a pas parlé. Après la guerre, il y avait aussi quelque chose de très dur. Un film de fiction ne peut pas tout raconter, mais il peut créer un esprit où l’on peut dire : oui, il se passait des choses à cet endroit.
RFI : L’ex-Zaïre qui est devenu la République démocratique du Congo a connu la dictature, des conflits, des dizaines de milliers femmes violées. Avec 4 millions de morts entre 1998 et 2004, selon les estimations du International Rescue Committee, la guerre au Congo est la plus meurtrière depuis la Seconde guerre mondiale. Peut-on dire que votre film est un film de gangster, mais, en filigrane, toutes ces violences sont aussi présentes dans votre film ?
D.T.W.M. : J’ai choisi de faire un polar parce que c’est un genre qui vous permet de créer une forme de divertissement, mais aussi d’avoir un conflit social. Ce conflit social est posé d’une manière qui n’est pas problématique. Il n’est pas nécessaire de jeter la pierre à quelqu’un. On est dans le divertissement, mais en même temps on parle de la société. Et tout le monde le reconnaît. C’est une forme assez belle et efficace pour cela.
RFI : Vous brisez des tabous en mettant en avant le côté vibrant et poétique de Kinshasa au milieu du crime et la corruption et non pas au milieu d’un regard sur la misère. Vous montrez un prêtre corrompu, l’amour homosexuel, les bordels… En revanche, les scènes de sexe très osées de la belle Nora sont incarnées par une actrice française, Manie Malone. D’origine ivoirienne, elle a appris pour le tournage le lingala qu’elle parle avec un accent français. Tous les autres acteurs ont été des Congolais formés sur place à Kinshasa. Une Congolaise dans le rôle de Nora aurait trop choqué au Congo?
D.T.W.M. : C’est ça. Le choix de Manie Malone a été plutôt le fait qu’on n’a pas trouvé notre candidate qui correspondait au film. Avec aussi tout l’aspect pudique de notre société congolaise où l’on refuse de parler de la sexualité. Cela a fait que dans le casting je me suis de plus en plus tourné vers l’étranger et j’ai choisi une actrice française qui a appris la langue et qui a joué le rôle d’une expatriée qui vit au Congo. Si j’avais trouvé une comédienne africaine ou congolaise qui auvait joué aussi bien, cela se serait fait. Mais notre société est à un stade où il y a encore beaucoup de pudeur et c’est difficile d’aller au-delà.
RFI : Un autre élément du film est la haine entre Angolais et Congolais. Est-ce que cela reflète une réalité actuelle ?
D.T.W.M. : Je ne voulais pas spécialement parler des Congolais et des Angolais, mais du racisme en Afrique en général.
RFI : Mais cette réalité existe. Par exemple, en Angola, les lingalaphones sont considérés comme des Congolais, et citoyens de seconde zone.
D.T.W.M. :Oui, cela existe, mais lorsque je regarde la mission des Nations unies qui sont au Congo depuis une dizaine d’années, quand je regarde la manière dont les Africains qui sont ici parlent des autres Africains, la réception qu’on a de l’autre, je trouve que le racisme est une chose dont on ne parle pas suffisamment. C’est un vrai problème. C’était une façon d’en parler.
RFI : Vous avez réalisé aussi des documentaires qui parlent de la violence faite aux femmes, vous avez soutenu et produit d’autres documentaires comme Dames en attente qui montre une maternité à Kinshasa, à l’image d’une société qui déraille. Après le succès de Viva Riva !, avez-vous le sentiment qu’on parle plus efficacement des maux d’une société à travers l’impact et la fascination d’un polar qu’avec un documentaire qui reste - au niveau du public - confidentiel ?
D.T.W.M. : La raison pour laquelle je fais les deux c’est que je ne pense pas que la fiction aille contre le documentaire. Ce sont des choses complémentaires. Une société a besoin des deux. C’est bien que les gens puissent aller au cinéma pour voir un divertissement ou un polar qui reflète la société, mais il est aussi fondamental d’avoir des images du réel. C'est pour cela je continue de faire et de produire des documentaires. Mais il est aussi important de faire la fiction, parce que cela parle à deux endroits différents du cerveau, à deux parties différentes de la société. Ce sont deux aspects du même travail qui se complètent.
RFI : En RDC, il n’y a pas d’industrie cinématographique ni de salles de cinéma. Avec Viva Riva peut-on parler d’un renouveau du cinéma congolais ? Ou est-ce que cela reste le travail d’un réalisateur africain avec des références cinématographiques plutôt asiatiques, européennes et américaines, influencé par Tarantino, Brian de Palma, Kurosawa ou Cronenberg ?
D.T.W.M. : Je me considère comme un cinéaste qui a des références d’autres cinéastes. L’origine n’est pas si importante. Sergio Leone, un cinéaste italien que j’aime beaucoup, Cronenberg qui est Canadien, Mizogouchi qui est Japonais, est-ce que c’est vraiment leur pays qui est important dans leur travail ? Ou est-ce que c’est plutôt le regard du cinéaste et leur travail personnel qui prend le dessus ? Je dirais que c’est plutôt la deuxième solution.
RFI : Au Festival de Cannes, on trouve cette année dans la compétition officielle trois films africains dont Après la bataille de l’Egyptien Yousri Nasrallah qui concourt pour la Palme d’or. Est-ce que cela représente bien la production de films africains en ce moment ?
D.T.W.M. : C’est difficile de donner une réponse globale Le cinéma africain est porté par des individualités. Je ne sais pas si on peut parler de courants. Dans les dernières années, on a pu voir des pays qui ont réussi à construire leur cinéma. C’est un début. Un jour on aura peut-être des institutions qui seront plus fortes. A ce moment-là on pourrait avoir des courants.
RFI : Sur quoi porte votre prochain film ?
D.T.W.M. : C’est un polar entre la Chine et le Congo. Le tournage aura lieu à Kinshasa. C’est un détective chinois qui vient faire une enquête à Kinshasa. Il va travailler avec un policier congolais. Il découvre la réalité congolaise avec toute sa complexité, mais aussi l’amitié. C’est un regard croisé sur la réalité. Cela reste un vrai film de genre, mais dans le côté social je pourrais aller un peu plus loin de ce que j’avais fait dans Viva Riva.
RFI : Avec le succès de Viva Riva !, le financement du film est-il devenu plus facile ?
D.T.W.M. : Non. Cela va peut-être plus vite dans les discussions, mais ce n’est pas plus facile. Pas encore.