« Kin la belle ». Les Congolais d’une cinquantaine d’années et plus n’ont rien oublié de l’époque où leur capitale portait ce surnom. Retour dans les années 70, au temps du Zaïre du défunt dictateur Mobutu Sese Seko. « La ville était très propre, raconte Aloïs, la soixantaine, employé dans les assurances. Il n’y avait pas d’eau qui suinte de partout. La ville était présentable ! » Marguerite enfonce le clou : « La ville était propre, propre, propre ! ».
« C’était " Poto Moyindo ", l’Europe noire, en lingala, poursuit cette fonctionnaire du ministère de l’Industrie âgée de 57 ans. Les gens de Kin vivaient comme les petits blancs, et même les Européens qui venaient se sentaient à l’aise ! Il y avait des poubelles partout, des services étaient chargés de ramasser les déchets et on ne pouvait pas jeter les ordures par terre. » D’autant que le régime de Mobutu imposait le « salongo », un travail d’intérêt général d’embellissement et d’assainissement appliqué jusque dans les écoles.
Tout le monde devait nettoyer sa parcelle
Souvenirs de Jean Liyongo Empengele, sociologue à l’université de Kinshasa. « Ça se faisait le samedi. Tout le monde devait nettoyer sa parcelle, prendre sa houe ou sa machette pour couper l’herbe des quartiers, des espaces verts. La circulation était interdite, tous les marchés étaient fermés mais les vendeurs devaient nettoyer leur emplacement. Jean Liyongo Empengele précise : On devait suivre les ordres, au risque d’être réprimandé, d’avoir une amende ou d’être pris pour un opposant. »
« Cependant, ajoute-t-il, des intellectuels ont critiqué l’injonction, arguant que l’Etat devait puiser dans les impôts pour entretenir de la ville, et non mobiliser les Kinois de force et sans rétribution ». Marguerite, elle, n’a jamais rechigné lorsqu’il fallait déblayer un caniveau. « Le salongo était devenu une rencontre entre amis. Après, dans l’après-midi, on se réunissait pour boire un verre. C’était bien ! » Pragmatique, Aloïs estime quant à lui que, « pour la salubrité de la ville, il faut faire des sacrifices ».
Il n’y avait pas de malaria
Des sacrifices qui en valaient la peine, assure Bernadette. « Comme c’était vraiment propre, il n’y avait pas de malaria, pas de fièvre typhoïde », rappelle cette hôtesse de l’air à la retraite. Surtout, des agents désinsectisaient pour éradiquer les moustiques, vecteurs du paludisme. « De petits avions bombardaient la ville. Mes amis et moi ça nous faisait peur à cause du bruit, mais voir cette fumée blanche nous faisait rire ! », s’amuse encore Jonas Tshiombela, 46 ans, coordonateur de l’ONG Nouvelle société civile congolaise.
Combat de boxe mythique entre Mohamed Ali et George Foreman
Pour beaucoup, Kin la belle c'est aussi le souvenir du combat de boxe mythique qui a opposé en 1974 Mohamed Ali à George Foreman dans l’arène du stade Tata Raphaël, réfectionné spécialement pour l’occasion. Et les notes de musique fendant l’air du quartier Matonge (centre), après une échappée des bars Vis-à-Vis ou Un, Deux, Trois. « En Afrique centrale, Kin était la capitale de l’ambiance, de la belle vie et des belles femmes », résume Raymond-Patrick, technicien en climatisation.
Et de se remémorer les effluves de cabri grillé et les chansons « qui ne faisaient pas trop transpirer ». Parmi ces titres, ceux de grands artistes et groupes, comme Tabu Ley, Zaïko Langa Langa, Trio Madjesi et Sosoliso, Viva la Musica de Papa Wemba… « Partout où tu passais, tu voyais la réjouissance, s’exclame le quinquagénaire. On pouvait prendre des transports facilement pour aller boire un verre à tel endroit, après aller à un ou deux concerts, plus tard aller danser… Et la sécurité était de la partie ! »
« Kin la belle » rebaptisée « Kin la poubelle »
Raymond-Patrick, Aloïs, Marguerite, Bernadette et bien d’autres, éprouvent une profonde nostalgie. Car « Kin la belle » fait partie de l’histoire ancienne. Pire, on la surnomme désormais « Kin la poubelle ». Le tableau : dans de nombreux quartiers, les constructions de fortune pullulent, les déchets ménagers s’enfouissent dans le sol et des flaques d’eau boueuses et nauséabondes favorisent la propagation de maladies telles que le paludisme et le choléra.
Est-ce que Kin redeviendra « Poto Moyindo » ? Certains ont lancé des salongo informels, des initiatives isolées qui se révèlent insuffisantes dans une ville qui compte désormais quelque 10 millions de citoyens. La solution ? Aloïs plaide pour un retour au « sanctions ». Daniel, ingénieur en télécommunications de 37 ans, préconise pour sa part une décentralisation : un schéma où « les chefs de quartiers seraient mieux soutenus pour le ramassage des ordures ».