La lente avancée de l’armée kenyane en Somalie

En quatre mois, l’armée kenyane n’a pas progressé de manière significative sur les trois fronts du Gedo, Bas et Moyen Juba. Sur le front central, les troupes ont atteint Beles Qoqani assez rapidement, mais ne se sont toujours pas emparé d’Afmadow, verrou stratégique avant le port de Kismayo. Les shebabs, qui font désormais formellement partie d’al-Qaïda, se sont adaptés. Ils multiplient embuscades et attaques nocturnes, le long d’un axe vital pour l’approvisionnement des troupes.

De notre envoyée spéciale aux côtés de l’armée kenyane à Tabda et Dobley

Une cavité creusée dans la terre forme un petit tunnel un peu à l’écart des tranchées qui entourent la position. « C’est notre bunker », expliquent les soldats kenyans postés à côté de la piste d’atterrissage de Tabda à 60 kilomètres de la frontière. « On s’y réfugie comme ça hop ! ». L’un d’eux saute dedans en guise de démonstration, son fusil-mitrailleur en bandoulière. « Quand ils commencent à tirer, c’est du rouge partout dans le ciel, c’est un vrai feu d’artifice ! Vous n’avez pas le temps de rester une seconde debout ! », raconte un autre en souriant.

« Ils », ce sont les shebabs, qui privilégient les attaques nocturnes sur les positions kenyanes. D’après ces soldats, les insurgés disposent de lance-roquettes, de mortiers, en plus du familier AK-47. Ces soldats ont été envoyés sur le front central, le plus stratégique, mais aussi le plus instable. Depuis le début de l’opération Linda Nchi, mi-octobre, ils n’ont pas eu un jour pour souffler.
« -Vous avez des nouvelles de votre famille ?
-Non… Le téléphone coûte cher pour nous,
répond l’un d’eux. Ma famille me manque terriblement, ma femme… mes enfants… Dieu seul sait quand nous rentrerons ».
Aussitôt, un autre le reprend. « Mais ce sont les aléas du métier. Nous faisons notre devoir ! » Personne n’ajoute un mot.

L’axe Dobley-Beles Qoqani, la dernière localité occupée par les Kenyans sur le front central est stratégique, car c’est la route qui mène à Kismayo, le bastion des insurgés. Mais avant cela, il faut s’emparer d’Afmadow, une ville qui avait pourtant été désertée par les shebabs dès les premiers temps de l’intervention kenyane.

Les insurgés se sont adaptés

Certains résidents s’étonnent du peu de progrès faits jusqu’à présent. Abdi Shukri habite à Dobley, localité frontalière. « Le Kenya a fait vraiment peu. Ils sont arrivés en octobre dernier, et ils sont seulement je ne sais pas… à 70 km de la frontière. Les gens voudraient qu’ils fassent plus vite, qu’ils aillent à Kismayo d’ici un mois. La population en assez ».

Le transport de véhicules commerciaux depuis Kismayo est perturbé, empêchant certains produits, sucre, huile, riz d’arriver. « On ne veut pas se précipiter, répond le Brigadier Johnson Ondieki en charge des opérations d’infanterie pour les trois fronts, Ras Kamboni, El Wak et Dobley. Et nous sommes convaincus que nous pouvons être à Kismayo en temps voulu. Rien ne nous retient, c’est juste qu’il faut pacifier les zones que nous avons libérées. Car il faut s’assurer que les shebabs ne puissent pas se réorganiser derrière nous alors que nous avançons ».

En effet, les insurgés se sont adaptés rapidement à l’arrivée de l’infanterie kenyane. Ils ont opté pour une tactique de harcèlement, d’embuscades sur les convois, déjà utilisée contre l’armée éthiopienne de 2007 à 2009. Le souci premier des Kenyans face à cette « guerre asymétrique », comme la qualifie le lieutenant colonel Jeff Nyaga, est de maintenir l’approvisionnement des troupes le long de cet axe. Le Kenya bénéficie également d’avions de combat, basés à Nanyuki et à Mombasa. Mais alors que les drones américains sont parvenus à tuer certains hauts responsables shebabs, les bombardements kenyans n’ont pas eu les mêmes résultats. L’un d’entre eux à Jilib a même accidentellement visé un camp de déplacés.

Nourriture aux populations

Dans le centre de Tabda, des sacs de riz ont été entreposés sous un arbre. Un groupe de femmes attend de recevoir leur part. A côté d’elles, un soldat somalien les regarde avec insistance, AK-47 sur l’épaule. Il affirme avoir 22 ans, il n’en fait pas quatorze. L’armée kenyane montre aux journalistes les distributions de nourriture à la population locale, mais les ressources sont limitées. Il faut plus d’assistance internationale, répètent les officiers.

Fatouma Abdi, mère de cinq enfants vit ici depuis onze ans. Elle ne tarit pas d’éloge sur l’armée kenyane, d’autant que le seul traducteur disponible est un soldat kenyan d’ethnie somali. « Avant leur arrivée, la vie était difficile, il n’y avait pas de nourriture, on ne pouvait pas avoir accès aux soins de santé et c’était impossible de circuler dans la région », déclare-t-elle, tenant dans les bras son bébé de quelques mois qui commence à s’agiter. Tout le monde n’est pas du même avis. « Il y a beaucoup de tension, la nuit. Et quand les rumeurs d’une attaque shebabs se précisent, les gens quittent la ville pour se réfugier en brousse », explique un habitant.

La décision du Conseil de sécurité de l’ONU d’augmenter les troupes de l’Amisom à hauteur de 17 000 hommes va soulager le Kenya. Alors que les yeux sont braqués sur l’élection présidentielle de l’année prochaine, les dépenses exorbitantes de cette guerre sont loin d’être tenables à long terme pour le pays.

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