RFI : Le contre-amiral Bubo Na Tchuto a-t-il voulu renverser le pouvoir lundi à Bissau, selon vous ?
Vincent Foucher : Je crois que c’est encore un peu difficile à dire. Il a fait une déclaration mardi midi, dans laquelle il niait toute implication dans les troubles. Il va falloir attendre un peu. C’est souvent le cas d’ailleurs à Bissau. Vous savez sans doute que, concernant les événements et les meurtres politiques de 2009, on n’est pas encore bien au clair sur ce qui s’est passé deux ans plus tard. Donc je crois qu’il faut prendre un petit peu le temps pour comprendre une dynamique.
Ceci dit, ce qui est clair aussi, c’est que c’est un personnage qui a un rôle particulier dans le dispositif bissau-guinéen et qu'il y avait toute une série de rumeurs, ces derniers mois, sur des tensions entre le lui et le chef d’état-major Antonio Indjai.
RFI : Aurait-on voulu lui tendre un piège, selon vous ?
V. F. : Dans l’interview de mardi 27 novembre, il semblait très peu préparé, très peu sûr de lui, un petit peu surpris. C’est une possibilité. C’est vrai que c’est un acteur qui posait problème, qui inquiétait les acteurs internationaux. Beaucoup de gens semblaient considérer qu’il était un des obstacles à la réforme du secteur de la sécurité. C’était un personnage problématique, son nom a été très souvent évoqué dans les affaires de trafic de drogue. Encore récemment d’ailleurs, il y a eu mention d’une arrivée possible d’un avion. Ça ferait peut-être partie de ce qui s’est passé. C’est une possibilité, je pense qu’il ne faut pas se précipiter.
RFI : Finalement c’était donc un personnage qui dérangeait beaucoup de monde. Est-ce que Bubo Na Tchuto représente, ou représentait un poids important dans l’armée ?
V.F. : C’est une des grandes inconnues. Ce qui s’est passé dans le courant des années 2000, c’est que la crise continue de l’Etat bissau-guinéen, et son budget en particulier, a permis une sorte d’autonomisation de clientèles au sein de l’armée, un certain nombre de grands chefs militaires dont Bubo Na Tchuto, contrôlant quelques opportunités économiques, et en profitant au fond, pour clientéliser un certain segment de l’armée.
Une des tendances possibles de ces derniers mois, c’est peut-être le renforcement de l’Etat, la partie civile de l’Etat. Les salaires sont payés, il y a toute une série d’améliorations qui sont en cours dans les casernes. On peut se demander si la défaite apparente de Bubo Na Tchuto, jusqu’à présent, n’est pas l’effet de permettre le basculement du rapport de force entre l’armée et le pouvoir civil, une sorte de renforcement de renouvellement de la crédibilité de la partie civile de l’Etat. Ce qui fait la capacité de Bubo Na Tchuto à mobiliser des clients au sein de l’armée pour défendre ses intérêts aurait pu être réduite ces derniers mois, alors qu’il était apparu, après les incidents du 1er avril 2010, très puissant, très influent, très en force.
RFI : Finalement, une réforme de l’armée, voulue par le Premier ministre Carlos Gomes Junior, passait par une mise à l’écart de personnalités comme Bubo Na Tchuto...
VF : C’est en train de se passer. C’est toute une série d’officiers généraux, des hommes d’influence dans l’armée, qui peut-être avaient un point de vue assez mitigé envers la réforme. Tous ces gens-là sont mis à l’écart. Si on est optimiste, on peut considérer que cet événement permet finalement de mettre de côté un certain nombre d’éléments problématiques.
RFI : Est-ce que la mise à l’écart de Bubo Na Tchuto ne va pas provoquer un déséquilibre au sein de l’armée et surtout des mouvements d’humeur parmi la troupe ?
V.F. : Je crois qu’il ne faut pas du tout exclure cette possibilité. Il y a aussi une dimension « balante ». Ce groupe ethnique est très représenté dans l’armée, et considère que l’armée est un peu sa chasse gardée. Bubo Na Tchuto, comme d’ailleurs son rival Antonio Indjai, sont tous les deux balantes, mais c’est un argument assez important.
Une réforme sur la sécurité aurait probablement pour effet de réduire un peu la part des balantes, et de réduire l’influence de l’armée d’une manière générale. C’est sûr qu'il y a là une carte à jouer pour les gens qui ne sont pas contents avec les évolutions actuelles, comme certains partis politiques et en particulier le PRS, le principal parti d’opposition. Ils jouent cette carte volontiers. Ils ont explicitement dénoncé la réforme en cours en disant : « C’est une manœuvre anti-balante. Ce n’est pas acceptable. »
RFI : Peut-on dire que l’actuel attelage au sommet de l’Etat formé par Carlos Gomes Junior et par le chef d’état-major Antonio Indjai, est mis en place pour prendre le pouvoir et le conserver ?
V.F. : Là encore, le jeu reste ouvert. Mais ce qui est très frappant, c’est qu’après les événements du 1er avril 2010, le Premier ministre Carlos Gomes était vraiment dans une situation de très grande faiblesse. Il avait passé plus d’un mois et demi hors du pays. Il était rentré à pas de loup.
Maintenant, on a l’impression que tout lui est réussi. Tous ses bailleurs sont présents. Pas tous, mais il y a de l’argent qui vient, il y a des investissements, une certaine croissance économique. On a l’impression que cette alliance fonctionne sur l’idée qu'il faut un minimum de stabilité politique et militaire, que c’est la condition pour avoir à tirer l’argent des bailleurs, et qu'il y a une certaine forme de perspective pour les individus et peut-être aussi pour la Guinée-Bissau. C’est cela le pari qu’ils font. Reste à voir s’ils arriveront à tenir le pari.
RFI : Finalement, est-ce que ce n’est pas la succession du président Malam Bacai Sanha, qui est actuellement très malade et soigné en France, qui s’est jouée lundi à Bissau ?
V.F. : Je n’ai pas l’impression que les deux choses soient très fortement liées. Le politique et le militaire sont évidemment en interaction fréquente à Bissau. Mais c’est aussi des logiques un petit peu autonomes. Il ne faut pas non plus surestimer leurs relations.
J’ai l’impression qu’on est d’abord face à une question militaire. A plusieurs niveaux : il y a des gens qui disent que c’était juste une mutinerie sur les questions salariales et donc que, peut-être, Bubo Na Tchuto n’est pas du tout impliqué là-dedans. Il y a par ailleurs des gens qui évoquent cette question de narcotrafic qui susciterait des tensions au sein de l’armée elle-même et puis cette hypothèse un cran plus loin, une tension persistante sur la perspective de la réforme. Les politiques et les militaires se mélangent de manière assez complexe. Il ne faut pas être trop simple sur ce qui s’est passé de ce point de vue-là.