Cela n’a pas raté. Dès le lundi 24 octobre, quelques heures à peine après le discours de « libération » du président du CNT, Moustapha Abdeljalil, en France, la présidente du Front national, Marine Le Pen, ne s’est pas privée d’un petit couplet sur l’air bien connu du « je vous l’avais bien dit, la Libye va se transformer en dictature islamiste ». Un ton en dessous, la réaction de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH) n'en souligne pas moins « les menaces de régression » qu’impliquaient les paroles du patron du CNT.
Le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a quant à lui assuré que la France serait vigilante « à ce que les valeurs que nous avons défendues aux côtés du peuple libyen soient respectées : l'alternance démocratique, le respect de la personne humaine, l'égalité des droits entre l'homme et la femme. Pour nous c'est absolument essentiel », a-t-il affirmé.
De leur côté, les Etats-Unis appellent également la Libye à respecter les droits des femmes suite aux propos de Moustapha Abdeljalil pendant que l'Union européenne indiquait qu'elle serait « vigilante sur le respect des droits de l'homme et des principes démocratiques ».
Rétropédalage
Alors que les déclarations inquiètes se multiplient, M. Abdeljalil s’est donc fendu, ce lundi, de nouveaux propos pour assurer à la communauté internationale que les Libyens étaient des « musulmans modérés » et qu'il n'avait pas voulu signifier la veille « l'amendement ou l'abrogation d'une quelconque loi ». Mais il a répété que « la charia, à l'appui d'un verset du Coran, autorise la polygamie ».
L’annonce de la charia comme base de toute législation dans la nouvelle Libye n’est pas vraiment une surprise. Déjà le 3 août 2011, les forces révolutionnaires anti-Kadhafi avaient adopté et publié une « déclaration constitutionnelle » qui définissait les contours d’une Libye post-Kadhafi.
Une référence sous Kadhafi déjà
Cette ébauche de Constitution dont les premiers mots sont : « Au nom de Dieu Clément et Miséricordieux », pose dès le premier article l’islam comme religion d’Etat et la charia comme étant la « source principale » de la loi. Pour les connaisseurs de la Libye, il ne s’agit nullement d’une rupture. La Libye est en effet un pays conservateur où la religion se nourrit de la tradition.
Ainsi, « la référence au Coran, à la charia islamique ne date pas d’hier », explique Hasni Abidi, directeur du Centre d’Etudes et de Recherches sur le Monde Arabe et Méditerranéen (Cernam). « Sous Kadhafi déjà – et Kadhafi l’a fait à maintes reprises en brandissant même le Coran et en disant : « Notre Constitution, notre source de législation c’est le Coran ». Dans les codes civils libyens, il y a mention de la charia islamique, bien sûr, et puis il faut rappeler que Moustapha Abdeljalil a été le premier magistrat du pays. Ensuite il est devenu ministre de la Justice ».
Interrogé sur Radio France Internationale, Hasni Abidi rappelle que Kadhafi faisait volontiers référence au Coran « pour des raisons, j’allais dire électoralistes, mais pour des raisons, plutôt de propagande et pour re-légitimer le régime auprès d’une population à majorité musulmane. Mais j’exclus le fait que cette déclaration ait plutôt tendance à faire virer la Libye à un régime islamiste, qui applique la charia dans tous les coins de rue », tente de rassurer le chercheur.
Inquiétudes
Il n’en reste pas moins que les propos du chef du CNT inquiètent en Libye d’abord et avant tout. Ainsi, Azza Maghour, avocate et militante des droits de l'homme, estime que ce n'était « pas le bon moment de faire ces déclarations » ajoutant qu'elle aurait préféré en savoir plus « sur d'autres sujets plus importants, notamment en ce qui concerne la période de transition ». « Nous ne voulons pas perdre les acquis que nous avions obtenus durant l'ère du socialisme dans les années 1970. C'est un sujet qui doit être soumis au dialogue. Et la femme a le droit de dire son mot », a-t-elle dit.
A propos de l’annulation de la loi sur le mariage et divorce évoquée par Moustapha Abdeljalil, « cela ferait perdre notamment à la femme le droit de garder la maison familiale en cas de divorce. C'est une catastrophe pour les femmes libyennes », a dénoncé Abdelrahman Al-Chater, un des fondateurs du Parti de la solidarité nationale (centre-droite).
Mais pour Hasni Abidi, directeur du Cernam, il convient de relativiser le péril islamiste. « Je pense qu’il est trop tôt pour juger la révolution libyenne et surtout les nouvelles instances. On sent qu’il y a une précipitation, il y a un certain – même – bricolage, faute de mieux ! Il faut être patient et donner un petit peu de temps à ces nouvelles instances », estime le chercheur.