RFI : Quelle a été la réaction d’Ellen Johnson Sirleaf à sa nomination ?
Sarah Tisseyre : Je l’ai rencontrée juste après l’annonce de sa nomination. Mais d’après ses proches, qui étaient avec elle au moment où elle l’a appris, à sa résidence, elle est restée très calme, pendant que son entourage chantait et dansait.
Et puis « Old ma », (grand-mère), comme l’appellent les Libériens, est venue voir les quelques journalistes présents. Elle était en boubou traditionnel et écharpe aux couleurs de son parti.
Elle se dit très heureuse de cet honneur et voit une reconnaissance des nombreuses années de combat pour la justice, la paix et le développement. Elle salue ses co-lauréates aussi, et elle dit espérer que ce prix motivera les femmes à travers le monde à prendre le pouvoir et à avoir le courage de leurs convictions.
RFI : Ellen Johnson Sirleaf est la première femme présidente, et de surcroît Africaine, à être ainsi distinguée. Qu’est-ce qui a motivé le jury du comité Nobel ?
S.T. : Elle est arrivée au pouvoir il y a six ans, lors de la première présidentielle post-guerre civile, au Liberia. C’est une femme à poigne, diplômée d’Harvard, ancien cadre de la Banque mondiale, ministre des Finances dès les années 1970 au Liberia, puis emprisonnée sous le régime suivant, celui de Samuel Doe.
Elle est la coqueluche de la communauté internationale, qui souligne que la paix est revenue dans le pays depuis huit ans, qui salue l’action d’Ellen Johnson Sirleaf, parce qu’elle a engagé une lutte contre la corruption, assaini les finances publiques, fait revenir les investisseurs étrangers.
Cela dit, le « petit peuple libérien » est beaucoup moins enthousiaste. La survie au quotidien reste très difficile, l’eau et l’électricité sont revenues à Monrovia, la capitale, mais pas dans les campagnes.
Deux tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté, et Ellen Johnson Sirleaf n’est pas sûre de l’emporter dès le premier tour mardi, car l’opposition mobilise.
RFI : Nous sommes maintenant à quatre jours d’un triple scrutin au Liberia, présidentiel, législatif et sénatorial. Comment est perçue cette distinction, notamment dans les rangs de l’opposition ?
S.T. : Cette distinction intervient le jour même où le principal parti d’opposition, le CDC, organise une grande marche à Monrovia. Les militants disent qu’Osma doit céder la place. Le secrétaire général du parti, que j’ai joint par téléphone, estime que cela n’aura aucun impact sur le scrutin. Pour lui, Ellen Johnson Sirleaf ne mérite pas ce Nobel, parce qu’elle n’a pas encore réussi à réconcilier les Libériens, et parce qu’elle a été impliquée dans la crise. Devant la commission vérité et réconciliation, ici au Liberia, Ellen Johnson Sirleaf avait reconnu avoir à l’époque soutenu financièrement, au tout début, la rébellion de Charles Taylor pour renverser l’ancien président Doe qui, dans les années 1980, l’avait emprisonnée à plusieurs reprises.
RFI : Une autre Libérienne, Leymah Gbowee, a également été distinguée par ce prix Nobel de la paix. Qui est-elle ?
S.T. : Leymah Gbowee est une femme d’environ 30 ans. Au début des années 2000, elle avait fondé une association prônant l’initiative des femmes pour la construction de la paix au Liberia. Ces femmes organisent des prières oecuméniques pour la paix, sous la pluie, sous le soleil et allongées à terre. Elles sont toujours là. Elles n’avaient pas hésité à se coucher devant le palais de Charles Taylor en 2003 pour le supplier d’aller négocier la paix.
Aujourd’hui, Leymah Gbowee a créé des branches de son mouvement ailleurs, en Afrique de l’Ouest. Elle-même vit désormais au Ghana. Mais ses camarades continuent de prier. Elles étaient là justement, ce matin, non loin de la résidence d’Ellen Johnson Sirleaf, couchées sur un stade. Des femmes d’âges variables, allongées sur le ventre et sur leur pagne, en croix, avec au centre un drapeau libérien. Des femmes qui nous ont dit prier aujourd’hui pour que la prochaine présidentielle se déroule sans violence.